Abraham & Blythe
Quand le passé nous rattrape, il révèle certains secrets assez inattendus

Pile au moment où je formulais ma réponse, je me rendais compte que c’était la première fois que j’admettais à voix haute être serveuse dans un restaurant, présentant ceci comme étant mon métier actuel. Et pour tout dire, c’était particulièrement troublant. C’était le signe comme quoi j’avais réellement entamé ma nouvelle vie, qui, pour le moment, me plaisait, mais comportait certains désavantages que je découvrais chaque jour, entre autres celui de devoir annoncer à mon demi-frère que je pratiquais un métier que je considérais être au bas de l’échelle en restauration, juste au-dessus de celui de plongeur – même si, à ma grande surprise, j’avais déjà rencontré des plongeurs plus sympathiques que certains serveurs. Par contre, m’efforcer de me convaincre que ses questions se termineraient là me donna le courage d’aller au bout de ma réponse, même si je me rendis compte à la fin, à mon plus grand désarroi que mon interrogatoire n’était pas fini. Heureusement, la première question ne fut pas compliquée, et j’y répondis en lâchant un simple : « Au Buena Nocce. J’ai commencé il n’y a pas très longtemps. », n’oubliant pas de repenser avec ironie que malgré tout, ce court laps de temps avait été suffisant pour taper sur les nerfs de plusieurs personnes, même si je pensais encore dur comme fer que lorsque tu ne sais pas faire des raviolis, tu ne devrais pas travailler en cuisine. Cependant, puisque je me doutais déjà que mon demi-frère ne voulait pas m’entendre râler sur mon boulot, s’intéressant visiblement plus à ce que je faisais avant. Merde. Pourquoi je n’avais pas su me taire pour le coup ? J’étais persuadée que c’était en raison de cette excuse bidon que je lui avais sortie que maintenant, il me posait cette question. Ne voyant pas vraiment d’autre choix que de lui mentir, d’une certaine façon, je lui répondis, soudainement un peu moins assurée qu’auparavant : « À Los Angeles. Et non, mais j’étais dans la restauration aussi. », me disant que je m’en étais pas mal sorti en disant la vérité, mais pas toute la vérité. C’était plus fort que moi, je détestais carrément mentir. Si je m’étais retrouvée ici aujourd’hui, c’était justement parce qu’on m’avait menti, on m’avait menti tant de fois dans ma vie que je ne pouvais pas me permettre de faire la même chose. D’accord, parfois, cela faisait en sorte que j’étais beaucoup trop franche, mais ça, c’était une tout autre histoire qu’Abraham n’avait pas besoin de savoir, puisque moi-même j’étais curieuse d’en savoir plus sur ce jeune homme qui partageait mon sang sans même que je sois au courant. Et puis, je détestais parler que de moi-même. Ça, c’était un avantage de mon installation ici; plus besoin de raconter ma vie à tout bout de champ comme si j’étais l’entité la plus importante de la place. Cela avait fait de moi, à ma grande surprise, une personne pas mal plus attentive, si bien que ce fut avec un certain intérêt que j’écoutai la réponse d’Abraham à mon retour de question, impressionnée par ce qu’il me confia. Franchement, avoir su, je n’aurais probablement pas fait la blague de lapin, mais puisque je ne pouvais pas fait CTRL + Z comme sur un ordinateur, je gardai le commentaire pour moi, j’écouta expliquer humblement qu’il exerçait sa passion, ce à quoi je répondis : « C’est génial ça ! Sérieusement, c’est super cool ! » Et puis, plus encore, ce que je ne lui disais pas tout de suite pour ne pas passer pour celle qui ne faisait que quémander des services, c’était que j’aurais quelqu’un pour me conseiller si je voulais m’acheter un chien, comme je rêvais de le faire depuis que j’étais arrivée ici, sans toutefois me décider, ne sachant pas quoi prendre, comment m’en occuper, des trucs comme cela. Peut-être Abraham pourrait-il me conseiller sur ce point ? Enfin, pas maintenant, encore fallait-il qu’on se connaisse un peu plus, mais cela ne tarderait pas à arriver, puisque d’emblée, alors que j’avais à peine pris quelques gorgées de mon propre café – qui, heureusement, était bel et bien fait avec du lait d’amandes, j’étais finalement tombée sur un serveur compétent – que le jeune homme me demandait de parler de moi comme si nous étions dans un Speed Dating, quelque chose du genre. Je fronçai alors les sourcils un instant, et finalement, j’éclatai de rire. Ensuite, je pris quelques secondes pour réfléchir, et je dis : « Eh bien… J’adore cuisiner et faire du tir… » Oui, j’avais dit que j’aimais faire la cuisine, mais cela ne serait pas suffisant pour me trahir, n’est-ce pas ? Enfin, je ne l’espérais pas, et pour être sûr d’étouffer l’affaire, je continuai en affirmant : « Ma couleur préférée est le jaune, et j’écoute que du rap des années quatre-vingt-dix, ou presque. Mon Ipod est rempli de chanson d’Eminem. » Au bout du compte, je me rendis compte que c’était plutôt amusant, faire ce genre d’interrogatoire. Enfin, à condition que l’autre personne se prête au jeu, évidemment. Curieuse de voir si Abraham allait faire la même chose, je m’accoudai à la table, posant mon menton dans ma main, et je dis : « Et toi alors ? Quel est ton animal préféré ? Tu fais quoi dans tes temps libres ? Quel est ton restaurant préféré ? Ton plat préféré ? » Je le considérai ensuite avec un petit air amusé, espérant simplement ne pas l’avoir pris de court en lui imposant ces questions, même si, à mon avis, c’était pas mal plus chouette que de simplement attendre qu’il trouve quoi dire et que la discussion soit bourrée de « euh », d’où le fait que j’avais décidé de répondre à ce dont il avait énuméré plutôt que de trouver autre chose, me disant qu’au pire, s’il voulait savoir autre chose, alors il n’aurait qu’à le demander.

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J’appris de la bouche d’Abraham que celui-ci connaissait le restaurant où je travaillais depuis peu de nom, sans toutefois y être allé. À cette information, je me contentai de hocher la tête, puis finalement hausser les épaules avec un petit sourire au moment où il me dit qu’il y passerait peut-être un jour. Je n’avais pas quoi que ce soit à dire à ce sujet, il était parfaitement en droit de faire ce qu’il voulait, d’aller manger au restaurant qu’il souhaitait. Après, je ne pouvais toutefois pas dire si je serais en mesure de servir sa table ou non ce fameux soir. En effet, bien que je lui dis : « Tu me tiendras au courant alors. », rien ne disait que j’allais être de service ce fameux soir, sans parler du fait que je ne pouvais pas encore déterminer si c’était une bonne idée ou pas que je m’occupe de lui dans l’éventualité où il viendrait manger sur mon lieu de travail. Pourquoi ? Parce que cela faisait très peu de temps que je travaillais là et pourtant, j’avais déjà pour réputation d’être hyper chiante lorsqu’il était question de la qualité des plats. Il était certain que sachant le lien que j’avais avec Abraham, bien que nous ne nous connaissions pas vraiment encore, je le serais encore plus, et là, je ferais certainement rager plus d’une personne. Après ça, ce ne serait pas la fin du monde me concernant, mais je n’avais pas nécessairement envie de lui laisser une mauvaise image à mon demi-frère alors que je venais tout juste de le rencontrer et ce, même si j’étais à deux doigts de lui révéler la chose probablement la plus bouleversante dans ma vie actuellement, outre la découverte d’un nouveau membre de ma famille que je ne connaissais pas. Franchement, cela ne me plaisait pas vraiment, mais puisque j’étais consciente que c’était moi qui m’étais placée dans cette situation toute seule, je savais que c’était moi qui devais m’en sortir. Malheureusement, puisque je ne savais pas trop comment faire pour le moment, je ne sus que dire : « Non, je n’étais pas serveuse. », esquissant un petit sourire en espérant que mon mutisme volontaire soit suffisant pour qu’Abraham ne pose pas de questions supplémentaires à ce sujet. À mon soulagement, cela ne sembla pas aller plus loin, mais il fallait dire que j’avais pris un sujet de choix pour détourner l’attention de ma personne. Attentivement, j’écoutai alors mon demi-frère parler de ses voyages, à la fois admirative et amusée de la passion qui brillait dans ses yeux tandis qu’il parlait. Puis, le charme se termina au moment où il s’excusa de parler autant, ce à quoi je répondis, sans aucune hésitation et avec sincérité : « Oh ne t’excuse pas ! C’est super de t’en entendre parler ainsi. » Pour tout dire, j’en étais limite un peu jalouse, puisque je ne pouvais certainement pas faire de même. Effectivement, je ne me sentais pas encore suffisamment à l’aise pour discuter ainsi de ma véritable passion. Je me contentais de simplement dire que j’aimais la cuisine, et même si ce n’était pas suffisant, dans le cas présent, c’était le mieux que je pouvais faire. Heureusement, le tout passa bien pour le moment, et plus encore, je pris un malin plaisir à poser autant de questions à mon demi-frère. Celui-ci ne sembla même pas gêné d’y répondre, et ce fut ainsi que j’appris que son animal préféré était le koala, qu’il aimait le golf ainsi que la randonnée. Pour le golf, je devais admettre que je ne pouvais pas prétendre avoir un point commun avec lui, puisque tout ce que j’y connaissais, c’était le fait que parfois, il y avait un repas après, repas que j’avais eu l’occasion de voir et de préparer avec mon père lorsque je lui filais un coup de main du temps que je pouvais le faire. Par contre, la randonnée, même si je n’en avais jamais fait à proprement parler, je me surprenais à me dire que cela ne me gênerait pas d’essayer à un moment ou un autre. Cependant, puisque je ne me voyais pas faire des plans basés sur pas grand-chose, je ne fis qu’acquiescer, laissant alors Abraham poursuivre son discours en affirmant qu’il aimait la pizza, m’arrachant ainsi un sourire. Après tout, qui n’aimait pas ? Enfin, moi, j’avais des goûts particuliers sur la question, mais ça, je ne le dis pas. Je n’allais pas non plus me vanter comme quoi j’en faisais de l’excellente, préférant attendre la fin du discours d’Abraham qui, finalement, revint en ma direction au moment où il me demanda quel était mon plat préféré. Sitôt, j’écarquillai les yeux, et pour cause : « Oulà ! Il y en a tellement ! » Effectivement, non seulement j’aimais la bonne nourriture, mais plus encore, j’aimais préparer de la nourriture que j’aimais pour moi-même, rendant les choix particulièrement variés. Clairement, je n’arriverais pas un consensus avec moi-même dans les prochaines minutes, ce qui expliqua pourquoi je préférai dire : « Je t’avoue que je ne dis jamais non à un filet mignon cuit à la perfection, avec une sauce au poivre. Ou bien des pâtes. Faites entièrement maison, on s’entend. » Je cessai mes explications là par contre, puisque j’en aurais long à dire sur les pâtes faites d’avance et tout ce qui venait avec. Et puis, j’aurais clairement interrompu sa nouvelle question qui, à mon grand désarroi, revint sur ce sujet que je voulais éviter. Apparemment, je ne m’en sortirais pas, et cela ne m’énervait pas, mais me faisait quelque peu paniquer. C’était la première fois que j’étais si près d’en parler, et apparemment, je n’étais pas prête à le faire, c’était évident. Ne sachant, encore une fois, pas trop quoi faire, je soupirai doucement, puis je dis, plus sérieusement, avec moins d’enthousiasme : « Tu sais, la cuisine en restaurant, c’est pas aussi glamour qu’on le pense. » Je haussai encore une fois les épaules, puis après avoir esquissé un petit sourire un peu amer, sans méchanceté toutefois, j’ajoutai : « Et puis, c’est mieux à domicile. Au moins, il n’y a personne pour te dire quoi faire. » Enfin, la différence était qu’avant, c’était moi qui disait aux autres quoi faire, mais ça, c’était un détail que je ne jugeais pas nécessaire d’aborder. Puis, histoire de faire la transition dans la discussion plus naturellement, je demandai : « Et toi, tu cuisines ? » en prenant une nouvelle gorgée de ma boisson, curieuse de voir ce qu’il allait me répondre.

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Alors que pendant un instant, j’avais vraiment craint être grillée par rapport à toutes les questions de mon demi-frère, je devins de plus en plus soulagée lorsque premièrement, il se contenta de simplement approuver le fait que je « variais » les opportunités offertes par un restaurant et qu’ensuite, il approuva le fait que travailler dans les cuisines d’un restaurant semblait être extrêmement stressant. En fait, je pensais même m’en être complètement sortie jusqu’au moment où Abraham me confia qu’il avait déjà vu certaines émissions culinaires et que c’était ainsi qu’il avait pu se faire son opinion sur la vie en cuisine. C’est là que j’eus un nouveau moment de panique intérieure – et que je ne le laissai pas voir, heureusement – lorsque me vint soudainement l’idée qu’il aurait pu voir l’émission à laquelle j’avais participé il y a de cela maintenant sept ans. Puis, je me calmai moi-même lorsque je me dis que si jamais il m’avait vue, alors certainement il en aurait parlé, parce que même si cela faisait un bout maintenant, ma tête n’avait pas trop changée depuis. Ça, c’était un coup de chance quand même; j’aurais pu prendre une tonne de rides, de cheveux blancs, vu le stress que mon ancien métier avait pu générer chez moi, mais ce n’était pas le cas, et même si je n’étais pas des plus coquettes, je ne m’en plaignais pas non plus. Confortée dans cette idée, je poursuivis la discussion un peu plus calmement, décidant de mettre mes vieux démons de côté, pour une fois. Après tout, j’étais venue dans cette ville dans l’idée que je ne serais plus persécutée, observée jour et nuit, et pour le moment, ce n’était pas encore arrivé. Maintenant, c’était surtout à moi de me calmer, de tenter d’être un peu moins paranoïaque, voire presque narcissique, à croire que tout tournait autour de ma personne comme avant. Ce n’était plus le cas, cela ne me manquait pas, d’où le fait que je ne voulais pas que cela reprenne. J’étais désireuse de parler de cuisine sans parler affaires, comme je vins à le faire lorsque je demandai à Abraham s’il était en mesure de cuisiner après lui avoir mentionné mes plats préférés. C’est là que j’appris que celui-ci se débrouillait lorsque c’était simple, mais lorsque venait le temps de faire quelque chose de plus « original », alors, ça ne le faisait pas. Sans vouloir le vexer, je ne pus toutefois m’empêcher d’avoir un petit sourire amusé. Pour tout dire, je ne comprenais pas vraiment les gens qui faisaient une distinction subjective entre un plat simple et un plat compliqué. Enfin, j’étais consciente qu’il y avait une nette différence entre des macaronis au fromage et une tajine d’agneau, par exemple, mais pour tout dire, j’étais d’avis qu’avec un peu d’habitude, tout pouvait devenir simple, d’une certaine façon. Cependant, je n’exposai pas cette théorie plutôt abstraite au jeune homme, reprenant simplement une nouvelle gorgée de ma boisson qui refroidissait et touchait à sa fin tandis que lui semblait terminer sa seconde. Ensuite, ce fut lui qui reprit la parole, lâchant une phrase qui me fit tout de suite croire que cette discussion tirait progressivement à sa fin. Non pas que j’en étais vexée, parce que moi aussi, j’étais sur le point de terminer ce que j’avais commandé, et je me doutais bien que lui comme moi nous avions d’autres choses de prévues pendant la journée, mais malgré tout, j’avais cette sensation que ce n’était pas assez, que je ne pourrais pas sortir éventuellement de ce café dans quelques minutes ou dans une heure en sachant que j’avais un demi-frère et ne plus jamais entendre parler de lui. Cette idée, pour tout dire, me chicotait tout particulièrement, et n’ayant pas envie de la laisser en plan comme cela. Toutefois, je ne lui en fis pas part dans l’immédiat, lui répondant plutôt avec un petit air timide, mais souriant : « Oui, moi aussi. », m’accordant un délai de réflexion supplémentaire, puisque mine de rien, ce à quoi je pensais était plutôt gênant, d’une certaine façon. Puis, je réussis à me convaincre que le pire qui pourrait arriver, ce serait de me faire dire non, et après une petite pause, je me lançai, puis je dis : « Écoute… Sens-toi libre de refuser si tu ne veux pas, mais je me demandais… Est-ce qu’il y a moyen qu’on s’échange nos numéros, ou email, un truc du genre ? » Il fallut que je fasse alors un effort pour ne pas grimacer, me surprenant à penser que cela faisait longtemps que je n’avais pas fait cela, et surtout pas dans ces circonstances. Normalement, lorsque je demandais un numéro à un homme, c’était généralement pour avoir un rancard. Là, c’était mon demi-frère, je ne pouvais pas lui demander une chose pareille, même si j’avais quand même envie de lui reparler, même si ce n’était que pour savoir quand il compterait venir manger au restaurant, si les tests sanguins que nous venions de passer étaient positifs de son côté ou non. Bref, simplement pour parler de banalités, comme un frère et une sœur pouvaient le faire. Je ne demandais quand même pas à ce qu’il m’invite à ses repas de famille, mais simplement garder contact, était-ce possible, ou simplement trop demandé ?

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Le fait que ma demande soit aussi étrange fit en sorte que sans trop comprendre pourquoi, je me sentis limite nerveuse de connaître la réponse d’Abraham à ma proposition d’échanger nos numéros. Ce n’était pas mon genre pourtant, mais là, tout cela me semblait si anormal que même cette conversation n’avait pas été suffisante pour que j’accepte complètement cette nouvelle situation. Pourtant, Abraham ne sembla pas y voir d’inconvénient, puisque très rapidement, il accepta sans hésitation apparente de me donner son numéro de téléphone, ajoutant même que cela lui ferait plaisir qu’on communique. Sitôt soulagée de sa réponse, je fis un petit sourire qui se transforma lentement en léger rire lorsqu’il se mit à la recherche active d’un bout de papier. N’en ayant pas sur moi, je me demandai pendant un instant si je ne ferais pas mieux de lui demander oralement son numéro afin de l’ajouter tout de suite dans mon téléphone. Toutefois, avant que je puisse lui proposer quoi que ce soit, le jeune homme que je pouvais maintenant appeler mon demi-frère – enfin, techniquement, peut-être pas officiellement, mais ça viendrait, un jour – trouva ce dont il avait besoin, et il écrivit son numéro sur un bout de papier dont j’hésitai. Par simple réflexe, j’y jetai un coup d’œil, y trouvant tout simplement un numéro de téléphone. C’était sans surprise, après tout, je ne m’attendais quand même pas à y trouver un mot d’amour ou un bonhomme sourire ridicule. Puis, je reportai mon attention vers mon interlocuteur lorsqu’il me dit que je ne devais pas hésiter à lui envoyer un message, quand je voulais, comme je voulais. À cette idée, je dis : « T’en fais pas. » même si dans ma tête, un énorme point d’interrogation se formait sur un truc; que pourrais-je lui dire ? Je n’allais pas quand même commencer à lui envoyer des messages pour lui raconter ma vie, ou bien lui demander comment ça allait à chaque jour, il allait me prendre pour une cinglée. Bien sûr, je n’aurais pas à lui en envoyer tout le temps, je m’en doutais bien, mais quel serait le délai raisonnable entre deux messages ? Tout cela, cette situation, cette histoire, était si délicate que je commençais à trouver cela pire qu’un début de relation amoureuse, alors que normalement, il n’y avait pas plus compliqué. Exaspérée par mes propres interrogations, je décidai de les faire taire au moment où le serveur apparut. Encore une fois, Abraham fut plus rapide que moi, attrapant l’addition en disant qu’il allait payer. Naturellement, je m’en montrais quelque peu embêtée, mais je compris que j’allais pouvoir éventuellement rattraper le coup. Enfin, j’allais rattraper le coup, définitivement, puisqu’Abraham me dit tout de suite que j’allais payer la prochaine fois. Nullement vexée, bien au contraire, je lui servis un large sourire, même si, encore une fois, je restais encore dans le flou sur le comment, le quand et tout ce qui venait avec. Qui sait ? Peut-être que lorsqu’il viendrait au restaurant, je pourrais m’occuper de sa note ? Ce serait probablement le plus simple, mais ça, on verrait bien, puisqu’encore faudrait-il qu’il veuille bien y venir. Malgré cette entente, je crus quand même poli de lui dire : « Merci. » pour avoir payé mon café, mais aussi, d’une façon beaucoup plus sous-entendue, d’avoir accepté cette discussion, m’avoir acceptée, tout simplement. L’addition étant maintenant réglée, nous nous levâmes tout naturellement, et nous nous dirigeâmes vers la sortie. Lorsque nous fûmes à la porte, je crus bon de commencer à dire : « Alors, c’est là qu’on se laisse… » dans un sourire timide, sans toutefois me montrer pessimiste. Franchement, je n’avais aucune raison de l’être, parce que malgré cette nouvelle plutôt choquante, le tout s’était bien passé. Plus encore, Abraham m’encouragea encore plus en me proposant de s’organiser quelque chose, le temps d’un après-midi. À cette idée, un sourire apparut naturellement sur mes lèvres, et je me surpris aussitôt à penser que je serais parfaitement du genre à lui proposer dans un stand de tir, parce que j’adorais cela. Cependant, puisque je n’étais pas totalement convaincue que cela lui plaise, je m’abstins de lui demander, me disant que je pourrais très bien en savoir plus sur ce point plus tard. Je me contentai alors de lui dire : « Oui, pourquoi pas ? On s’organisera ça alors. » sans aucune interrogation cette fois-ci, parce que je savais que ce ne serait pas compliqué, j’avais déjà son numéro. Un large sourire aux lèvres à présent, je conclus la discussion en lâchant un petit : « Ça m’a fait plaisir de pouvoir discuter, Abraham. J’espère qu’on se reverra bientôt. » et sans attendre plus longtemps, je pris mon côté, lui le sien, et nous retournâmes à notre train-train quotidien. Enfin, pas totalement pour moi, puisque je pris le petit papier avec le numéro de mon frère, le rentrai dans mon téléphone, puis je lui envoyai tout de suite un message pour lui fournir mon propre numéro. Ensuite, je remis mon téléphone dans ma poche, et je repris mon chemin, un petit sourire aux lèvres, même si je me doutais bien qu’une fois chez moi, je le perdrais certainement, puisqu’il me faudrait bien du temps pour assimiler tout ce qui avait pu se passer.