Abraham & Blythe
      Quand le passé nous rattrape, il révèle certains secrets assez inattendus

« L’hôpital a appelé à la maison. Ton père biologique a eu un accident et ils auraient besoin d’un don de sang de la personne la plus compatible qui soit… Je ne t’oblige en rien ma chérie, je veux simplement te faire le message. » N’ayant pas pensé à prendre les messages sur ma boîte vocale depuis un bon moment maintenant, parce que je n’en avais jamais eu le réflexe, mais puisque celle-ci était maintenant pleine à craquer, je n’avais pas eu le choix que de faire un tri dans mes messages, et c’était là que j’étais tombée sur ce message de la part de mon paternel, enfin, de mon paternel adoptif que j’avais toujours considéré comme mon père. Je savais bien que j’étais adoptée, je l’avais appris relativement tôt, mais cela ne m’avait jamais vraiment ébranlée, ayant préféré de loin être adoptée par ces deux personnes que je considérais comme mes parents plutôt que d’avoir une mère carrément irresponsable et un père absent. Toutefois, j’étais consciente que j’avais un père quelque part, et apparemment, c’était écrit quelque part, parce qu’autrement, le milieu hospitalier n’aurait jamais pu remonter jusqu’à mon père en demandant à me parler, puisque visiblement, le changement de numéro et d’adresse n’avait pas eu lieu dans leurs documents, ce qui n’était pas surprenant, parce que jamais je n’étais entrée en contact avec mon père biologique et jamais je n’en avais eu l’envie. À vrai dire, c’était la toute première fois que j’entendais parler de lui, et pour être franche, c’était quelque peu troublant. Après l’écoute de ce message, j’étais même restée choquée quelques instants, pensant pendant un instant que je n’irais pas, mais me disant que si je ne le faisais pas, alors peut-être je finirais par le regretter. Et puis, j’étais une adulte maintenant, j’étais capable de rencontrer mon père biologique sans que cela chamboule ma vie complètement, ayant déjà vécu suffisamment d’évènements qui avaient fait le boulot.


Finalement résignée à m’y rendre, mais peu convaincue du temps que cela pourrait prendre, surtout si je venais à lui parler, j’avais décidé d’aller à l’hôpital aujourd’hui, compte tenu que je ne travaillais pas en soirée. De plus, je me disais qu’il valait mieux que je m’y rende le plus rapidement possible, parce que s’il avait réellement besoin de sang, alors il ne pourrait pas attendre des semaines. Je n’étais pas une experte au niveau médical, la plus grosse blessure que j’avais eue était une brûlure importante suite à un accident en cuisine, si mes souvenirs étaient bons, mais je pouvais le supposer. Et si cela ne pressait pas, alors tant pis, ils l’auraient en stock, et moi je me serais débarrassée de ce qui me paraissait être aux premiers abords une besogne particulièrement désagréable. Sitôt que je fus prête à m’y rendre, je pris ma voiture et me rendis à l’hôpital. Supposant que je devais me rendre aux urgences, ce fut là que je me dirigeai en suivant les indications, compte tenu que c’était la toute première fois que je me rendais en ces lieux, dans l’espoir de ne pas devoir venir trop souvent. À la réception, je donnai mon nom, expliquant que je venais pour un don de sang, réalisant que je ne savais même pas le nom de mon véritable père. Heureusement, mon nom fut suffisant pour mettre la réceptionniste à la recherche du dossier ou quelque chose dans le genre, je n’en savais trop rien et je m’en moquais un peu, pour être franche. Au bout de quelques secondes, elle m’offrit de m’asseoir dans la salle d’attente, ce que je fis, me disant que je pourrais passer le temps en jouant à Angry Birds sur mon téléphone. Cependant, avant même que j’aie l’occasion de le sortir lorsque je me fus installée dans un des seuls sièges disponibles dans la petite salle austère, le jeune homme à côté de moi m’adressa la parole. Non pas pour me dire que je prenais trop de place ou que je sentais mauvais, mais pour me signifier qu’il avait écouté ce que j’avais dit à la réceptionniste. Ça, je ne pouvais pas lui en vouloir, parce que si le pauvre n’avait pas mieux à faire, alors écouter les discussions d’autrui devenait soudainement quelque chose de fascinant pour certains. Cependant, il en vint à me demander de confirmer ce que j’avais pu dire à la dame, mentionnant que lui aussi était là pour les mêmes raisons. Je fronçai les sourcils, puis n’ayant rien à cacher – parce que de toute façon, je n’aurais pas pu le cacher, il avait tout écouté – je répondis : « Hum… Oui, c’est ça. » Puis, n’étant pas du genre à être méfiante, ou timide, je haussai les épaules, puis j’ajoutai : « Enfin, père, c’est un grand mot. C’est simplement mon géniteur. Je ne sais même pas comment il s’appelle. », feignant une certaine indifférence dans mon ton de voix, même si je ne pouvais m’empêcher de trouver cela quelque peu étrange qu’il m’aborde de la sorte, à moins que ce soit le festival des pères blessés dans cet hôpital. Cependant, je ne dis rien, tentant de me convaincre que ce n’était peut-être qu’un hasard. Après tout, il n’y avait pas qu’une seule personne qui avait la grippe dans ce monde.

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Pour être honnête, je ne m’attendais pas vraiment à ce que les informations que j’avais transmises au jeune homme concernant mon père biologique soient réellement pertinentes, ou du moins, qu’ils l’intéressent à un tel point qu’il m’apprenne que nous avions un point en commun; tous deux nous n’avions pas connu nos pères biologiques. Je n’en fus pas étonnée, parce que pour être franche, je savais bien que je n’étais pas la seule à avoir été adoptée parce que son père était parti et que sa mère ne pouvait pas s’en occuper. Enfin, peut-être que j’étais une des seules à avoir une famille aussi particulière que la mienne niveau liens biologiques et adoptifs, mais ça, je m’en moquais un peu beaucoup. Quoiqu’il en soit, l’affirmation du jeune homme ne fut pas suffisante pour me mettre la puce à l’oreille, et cela ne changea pas lorsqu’il m’expliqua qu’il avait été conçu pendant un coup d’un soir et que sa mère ne l’avait pas revu depuis. Pire que cela, pour toute réaction, j’eus un petit rire discret, mais légèrement ironique qui s’accompagna par un « C’est curieux, on dirait m’entendre moi. » suffisamment à voix basse pour ne pas provoquer un scandale dans cette salle d’attente austère et particulièrement silencieuse, puisque tout ce que je pouvais entendre, c’était notre courte conversation. En effet, j’avais beau partager une histoire similaire à mon interlocuteur, il n’en demeurait pas moins que la mamie venue pour traiter ses hémorroïdes n’avait pas besoin d’entendre ce que nous étions en train de raconter. Je n’avais pas honte de mon histoire, d’où je venais, parce que finalement, j’avais été correctement élevée et j’avais eu une vie convenable, mais il y avait des limites à étaler ma vie privée, surtout que maintenant, je n’avais plus besoin de le faire autant qu’au cours des dernières années. Cependant, cela ne voulait pas dire que je ne prenais pas la situation aussi calmement que je le pouvais, n’ayant pas envie de me stresser par rapport à ce qui se passait, tellement que j’en devenais naïve. J’en montrai une nouvelle preuve lorsque le jeune homme me demanda si cette situation ne me paraissait pas étrange. Bien sûr, les circonstances faisaient étrangement les choses, mais au point que ce soit un signe du destin ou quelque chose comme cela ? J’étais de ces personnes qui aimaient avoir des preuves, faisant en sorte que je ne voulais pas trop croire à cela, et de ce fait, je préférai me convaincre que nombreuses gens faisaient des dons de sang chaque jour, et il y avait des accidents chaque jour, aussi triste cela puisse-t-il être. Pour toutes ces raisons, je me contentai de hausser les épaules, puis je dis : « Peut-être. », n’ayant pas envie d’étaler ma théorie. De toute façon, je n’en aurais pas eu le temps, puisqu’une jeune femme clairement employée de l’hôpital compte tenu de son uniforme s’approcha et s’adressa à nous deux en nous demandant d’aller faire une prise de sang pour vérifier la compatibilité avec « notre père ». Encore une fois, c’était curieux, et à ces propos, je réagis un peu plus vivement que la première fois. Enfin, pas trop quand même; je me contentai de froncer les sourcils de questionnement, sans toutefois broncher autrement en suivant la dame, puis le jeune homme qui, visiblement, devait se rendre au même endroit que moi. Quelques mètres plus tard, nous nous retrouvâmes dans la même salle, avec de nombreux instruments. Logiquement, un médecin aurait peut-être dû venir nous voir, mais cela n’arriva pas, faisant en sorte que je me retrouvai seule avec mon interlocuteur qui me fit part de nouveaux doutes quant à la situation et qui, cette fois-ci, me rendirent un peu plus sceptique. Il fallait dire que pour le coup, il était vrai que les circonstances semblaient converger vers une chose plutôt évidente; nous étions tous deux là pour aider la même personne. En revanche, puisque je n’étais pas bête après tout, cela signifiait une chose, à savoir que si tout cela était vrai et plausible, alors ce jeune homme blond à qui je parlais était mon demi-frère biologique dont je n’aurais jamais connu l’existence jusqu’à aujourd’hui. Peu ébranlée depuis le début de la journée, ou du moins, pas autant que certains auraient pu l’être, il n’en demeura pas moins que cette idée me troubla un peu plus que les autres, tellement qu’elle me laissa impuissante et incapable de dire quoi que ce soit. Après tout, que devais-je faire dans une situation pareille ? Me présenter et dire « apparemment, je suis ta sœur et on ne le savait pas ! » ? Cela ne faisait même plus de sens maintenant que je me répétais cette idée dans mon esprit. Pour moi, ça ne se pouvait tout simplement pas, à un tel point que finalement, je finis par dire, sur un ton que je voulus humoristique : « Peut-être, ou bien c’est juste qu’ils ont été impliqués dans le même accident. » Cependant, le rire nerveux que j’eus après vint trahir mon assurance, et sitôt, je ressentis le besoin de me taire, baissant le regard vers mes doigts pour me ronger les ongles un moment en espérant que cela n’éveillerait pas des soupçons sur ma soudaine incertitude auprès de l’homme blond, parce que je détestais perdre la face et ce, peu importe les circonstances.

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Afin de rassurer le jeune homme et lui signifier que contrairement à ce qu’il supposait, il ne me saoulait pas, je lui adressai un signe de tête ainsi qu’un petit sourire, n’osant pas vraiment lui avouer que mes suppositions idiotes ne venaient pas d’un énervement potentiel de ma part, mais plutôt du fait qu’une partie de mon cerveau continuait à formuler celles-ci tant et aussi longtemps qu’il ne trouverait pas une explication plausible pour ne pas croire que cet homme et moi avions le même paternel, même si tous les évènements semblaient converger dans cette direction. D’ailleurs, une partie de moi ne cessait de me dire que j’étais complètement ridicule à penser que ce n’était pas possible, mais elle luttait constamment avec l’autre qui, pour le moment, l’emportait, et continua de l’emporter jusqu’au moment où un nouvel employé de l’hôpital, probablement un médecin ou une personne qualifiée pour faire des prises de sang, entra dans la pièce et continua à parler d’un seul père, un père, deux enfants. Si dans la salle d’attente, la théorie de l’accident impliquant deux personnes aurait pu passer et que la dame n’avait fait qu’une malencontreuse erreur de grammaire, il était tout simplement impossible que ce soit la même chose dans le cas présent. À moins que personne dans cet immeuble ne savait conjuguer ? J’en doutais fort, c’était un milieu assez bien coté intellectuellement. Cependant, je ne pouvais tout simplement pas sauter aux conclusions de cette façon. Sitôt, je voulus demander confirmation à la personne, mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, le jeune homme posa exactement la question qui me trottait en tête, ce à quoi le médecin répondit comme c’était une évidence; un père, deux enfants, ce n’était plus une supposition stupide, mais la réalité. Les yeux écarquillés, je considérai d’abord le médecin, puis le jeune homme, qui s’avérait à avoir le même père biologique que moi, et moi le même père biologique que lui. En gros, cela faisait de lui, par les liens du sang du moins, mon demi-frère. Un demi-frère dont je n’avais jamais entendu parler, et dont je n’aurais jamais su l’existence si cela n’avait pas été de cet accident. Enfin, peut-être l’aurais-je rencontré, puisque nous étions tous deux dans la même ville, je le supposais, mais en gros, j’aurais pu le voir dans un bar, coucher avec lui et ne jamais savoir que nous partagions le même sang. Parce que je devais l’admettre, si je l’avais croisé dans ces circonstances, peut-être que je l’aurais trouvé de mon goût, puisqu’on n’allait pas se le cacher, il était pas mal quand même ! Quoiqu’il en soit, maintenant, c’était mort et enterré, tout comme ces pensées qui étaient apparues telles des mécanismes de défense dans ma tête, encore une fois pour m’empêcher de faire quelque chose de potentiellement stupide. Au bout du compte, je demeurai passive, à un point qui devait faire penser au médecin que j’étais particulièrement docile, à moins qu’il ait une conscience assez développée pour comprendre que j’étais choquée, très certainement comme le jeune homme à côté de moi. Ce jeune homme, mon demi-frère, tout cela sonnait tellement bizarre dans ma tête. Perdue dans mes pensées, je me rendis compte que tout cela était fini seulement quand le médecin nous dit que nous aurions les résultats sous peu, le lendemain. Combien de temps cette prise de sang avait-elle durée ? Trois minutes ? Cinq minutes ? Peu importe, ce moment me manquait dans mon existence, parce que je l’avais pris pour resonger à ce que je venais d’apprendre, oubliant le reste du monde pendant tout ce temps. Et maintenant, que se passerait-il ? Nous allions repartir chacun de notre côté en se disant qu’on ne se verrait plus ? Sans échanger quelconque coordonnée ? La partie plus lâche de ma personne voudrait faire cela, partir sans rien dire, mais d’un autre côté, cela ne se faisait pas, pas après avoir appris une nouvelle aussi énorme, susceptible de changer une vie, voire deux dans le cas présent. En revanche, comment je pouvais faire cela ? Demander tout banalement ? Cela ne sonnait pas normal dans ma tête, quoique là, il n’y avait rien de normal. Au bout du compte, je fus si longue à réfléchir que ce fut mon demi-frère qui me proposa d’aller boire un café. C’était si simple que cela ? En fait, je m’étais cassée la tête pour rien. Dans un haussement d’épaules, je finis par lui répondre : « Oui, pourquoi pas ? » Ensuite, après une courte pause, je désignai la sortie d’un signe de tête avant de dire : « Mais pitié, pas ici. Il y a un Stabuck’s non loin, je crois. » Enfin, dans ma tête, ce n’était pas nécessairement mieux, mais pour une raison que je ne saurais expliquer, rester en ces lieux ne me donnait pas envie, mais pas du tout. Puis, pour terminer mon propos avant que nous prenions la direction du café, ou bien ailleurs, je m’en moquais bien, tant que ce n’était pas entre ces murs austères, je lui dis : « En passant, moi c’est Blythe. » sans trop réfléchir, me disant que la base était que nous connaissions nos prénoms. Après tout, nous étions de la même famille, si on pouvait le dire ainsi, même si ma famille, c’était celle qui m’avait adoptée et ce, aucune nouvelle ne pourrait changer ça.

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Rassurée de ne pas rester dans ce lieu austère plus longtemps, je ne me fis certainement pas prier pour suivre le jeune homme hors des urgences pour marcher à l’extérieur, remarquant que l’air frais me fit encore plus de bien qu’à la normale. Il fallait dire que l’hôpital, c’était étouffant. Jamais je n’avais aimé cette ambiance, et pourtant, ce n’était pas comme si je n’avais pas l’habitude de travailler dans des endroits restreints ou les gens sont parfois obligés de se bousculer. Enfin, j’avais l’habitude, mais ça, c’était une autre histoire qui n’intéresserait certainement pas mon interlocuteur – demi-frère – d’autant plus que jusqu’à il y a quelques secondes, celui-ci ne connaissait même pas mon prénom. Heureusement, j’eus la présence d’esprit de me présenter en bonne et due forme, et encore mieux, il eut la bonne idée de faire de même, me mentionnant s’appeler Abraham, alias Abra’, comme le Pokémon. Le voyant rire à son propos, je me contentai toutefois d’un petit sourire, non pas que je ne trouvais pas sa blague amusante, mais parce qu’aussi malheureux cela soit-il, les Pokémon, cela ne me disait pas grand-chose. Enfin, je savais que c’était une émission télé, un film, des dessins animés, peu importe, mais pour ma part, dans mon enfance, c’était surtout Master Chef et les émissions du genre qui avaient pris le dessus chez moi, faisant en sorte que je ne m’étais jamais attardée aux trucs pour enfants, sauf peut-être Bob l’Éponge, toujours curieuse de savoir comment il pouvait faire son fichu pâté de crabe. Enfin, l’essentiel à retenir, c’était que mon demi-frère avait un nom de Pokémon, ce qui rendait la situation probablement encore plus loufoque, voire irréelle. Pourtant, elle l’était bien, et Abraham ne tarda pas à me le rappeler, m’arrachant un haussement d’épaules et un simple : « Apparemment oui. », n’ayant pas le cœur à être bavarde, comme si je n’arrivais toujours pas à réaliser. Cependant, je refusais de me montrer bouleversée par toute cette histoire, et avec un peu plus de contenance, je continuai à me diriger vers le café, oubliant mes suppositions, et surtout cette question qui m’assaillait, à savoir : Et si cet accident n’avait pas eu lieu, aurais-je appris que j’avais un frère ? Franchement, je ne savais pas trop, et je me doutais déjà que non était la réponse, mais ça, je le gardai pour moi, préférant sourire poliment au jeune homme tandis que celui-ci me tenait la porte pour que j’entre dans le café, confiante que celui-ci ne chercherait pas à me mater le derrière. Enfin, peut-être que si, mais ce n’était pas comme si cela pouvait mener à quelque chose de sexuel et étrange, du moins, pas pour le moment. Une fois que nous fûmes à l’intérieur, nous prîmes place à une table, et sans attendre plus longtemps, Abra’ me proposa qu’on se tutoie, apparemment confus dans sa requête. Amusée par ce fait, je ris un bref moment, et je dis : « Pour être honnête, ça ne me dérange pas, donc tutoyons-nous, ce sera plus simple ainsi. » Et surtout plus logique aussi, à mon avis. Enfin, ce n’était pas comme si tout cela n’était pas rempli d’évènements dignes de propos ironiques, mais bon, si jamais on pouvait en calmer quelques-uns, peut-être que je commencerais à un peu plus réaliser ce qui se passerait. La question étant maintenant réglée, je considérai le jeune homme, me rendant compte que pour tout dire, je ne savais pas vraiment quoi dire, quoi demander. J’étais persuadée que dans un speed-dating, cela aurait été plus simple. Mais là, que doit-on dire à quelqu’un qu’on vient de rencontrer et qu’on sait être son demi-frère dont on ne soupçonnait pas l’existence jusqu’à ce moment précis ? Je doutais fort qu’il n’y avait pas de manuel d’instructions pour cela. Heureusement, l’arrivée du serveur eut pour effet de ne pas rendre le silence trop gênant, et nous occupa l’esprit un bref instant, soit le temps pour Abraham de passer sa commande et pour moi de demander un café au lait en remplaçant le lait normal par du lait d’amande, trouvant que cela avait bien meilleur goût. Le serveur fronça les sourcils, mais repartit aussitôt, nous laissant encore seuls. Cependant, et encore à mon grand soulagement, je n’eus pas à appuyer sur le bouton « Panique » pour entamer la discussion, Abraham le faisant en me demandant comment j’allais par rapport à tout cela. M’efforçant de me montrer force encore – parce que mine de rien, cela faisait en sorte que je reprenais réellement ma contenance au fond de moi en même temps – je grimaçai quelque peu, simplement parce que j’étais très expressive, et je répondis : « Pour être honnête, un peu, mais pas plus que ça. » Puis, histoire de ne pas passer pour la grande indifférente de service, j’ajoutai : « Ma famille est déjà pas mal compliquée, donc même si je ne m’y en attendais pas, je me dis que vu la situation dans laquelle je suis, c’est pas plus surprenant. » Jugeant ma réponse plutôt complète, je souris en coin, puis je demandai, intéressée et curieuse : « Et toi ? »

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Je savais parfaitement que j’avais des goûts particuliers quand je commandais au restaurant, mais pour tout dire, je l’assumais. Je savais parfaitement quelle image je projetais dans ces situations là; vous savez, la fille qui a toujours un détail pointilleux à modifier dans sa commande, histoire de bien taper sur les nerfs des cuisiniers, ou bien des baristas dans le cas présent ? C’était moi tout craché. Cependant, je n’en étais pas encore au stade de la mémère chiante qui exige d’avoir une commande parfaite; je suis capable de comprendre qu’il y a des ratés parfois, mais j’aime encore et toujours avoir un peu le contrôle sur ma commande et ce, que ce soit pour un repas complet ou un café, comme en ce moment, n’ayant aucune gêne à demander un autre type de lait pour rendre mon café plus goûteux, plus riche. En revanche, je ne m’attendais pas à ce que cela fasse réagir Abraham, ou du moins, pas au point que cela le fit réagir. J’aurais considéré sans surprise une grimace, un sourcil arqué, mais certainement pas un commentaire par rapport à sa mère, dame que je ne connaissais pas. Ne sachant pas trop comment réagir, ce fut moi qui arquai un sourcil pendant un instant, mais je ne dis rien par la suite, ne voulant certainement pas jeter un froid dans cette discussion alors que l’atmosphère était déjà particulièrement tendue. Je m’attendais déjà à ce qu’elle le reste pendant un bon moment de la conversation et surtout, qu’elle ne se détente pas tout de suite, compte tenu que le jeune homme semblait encore et toujours particulièrement sonné par l’annonce. Dans un premier temps, lorsqu’il me dit ça, je me demandai si ce n’était pas parce que, contrairement à moi, il avait eu une petite famille parfaite, qu’on ne lui avait pas annoncé qu’il était adopté – parce que j’avais pris pour acquis que notre père biologique n’était pas celui avec lequel il avait grandi, mais je me rendis compte que j’étais à côté de la plaque lorsqu’il m’expliqua qu’il ne devait pas se montrer trop surpris – comme moi – parce qu’il avait été conçu pendant un coup d’un soir. À ce moment, mes pensées devinrent soudainement un peu plus ironiques, à un tel point que je ne sus empêcher un « C’était un vrai lapin, en fait ! », n’ayant même pas de regret d’avoir prononcé ces mots. Je n’y pouvais rien, c’était dans ma nature, et quand on y songeait, c’était un peu ça, la réalité. Abraham avait été conçu dans le cadre d’un coup d’un soir, selon ses dires, et moi, selon ce que je savais, ma mère biologique – ma tante – n’était pas restée très longtemps avec lui, très certainement parce qu’il n’a pas su l’endurer tellement elle était horrible. Après, peut-être que ça avait marché que pour nous deux, mais pendant un instant, je me surprenais limite à me demander si nous n’avions pas d’autres frères et sœurs qui allaient surgir à un moment ou un autre, peut-être trop jeunes pour faire une transfusion de sang. C’était peut-être gros pour le moment, mais c’était toujours marrant de laisser son esprit divaguer un peu, même si, parfois, il fallait revenir à la réalité, ce que je me dus de faire au moment où Abraham m’expliqua qu’en fait, contrairement à ce que j’avais pensé dans un tout premier temps, sa famille n’était pas nécessairement des plus roses; une sœur enceinte, une autre dans la mauvaise direction. À quelques détails près, j’avais l’impression de m’entendre parler, et d’une certaine façon, même si cela avait quelque chose de se découvrir autant de points communs, c’était presque bouleversant, pour le simple et idiot fait que celui avec qui je partageais ces points communs, c’était mon frère. Il faudrait que je finisse par en revenir un jour, parce que sinon, la discussion n’allait jamais avancer, même si, pendant un petit moment, ce fut Abraham qui la fit en grande partie, ce qui me fit penser qu’il était vachement bavard, contrairement à moi. Enfin, j’étais grande gueule, mais j’en parlais que lorsque je le jugeais pertinent. Je ne disais pas que ce qu’il disait n’était pas pertinent, mais je ne pensais pas que j’aurais eu le courage de déballer ma vie familiale tout de suite, comme cela. Et finalement, Abraham non plus, celui-ci m’avouant parler ainsi que lorsqu’il était nerveux. Son propos m’arracha un petit sourire, puis un petit rire quand il me fit la remarque que j’en savais plus à son sujet, tandis que, pour sa part, il en savait très peu sur moi. Cependant, c’était sur le point de changer, puisque peu de temps après, il me demanda ce que je faisais dans la vie. À mon grand étonnement, et surtout parce que c’était la première fois qu’on me posait la question depuis ce fameux changement survenu il y a quelque temps de cela. Pendant un instant, je le regrettai même, puisque je ne pouvais plus dire que j’étais propriétaire d’un grand restaurant, en parler avec passion. Là, je devais juste me contenter de dire « Hum… Je suis serveuse dans un restaurant. » Puis, comme si je me trouvais particulièrement pathétique, je ressentis l’urgent besoin d’ajouter : « Je suis venue m’installer ici il y a peu de temps, donc bon… » avant de m’auto-flageller mentalement pour ne pas avoir trouvé mieux comme excuse. Finalement, le besoin urgent de trouver une excuse se transforma en besoin urgent de détourner l’attention d’Abraham sur mon malaise passager, et je le fis en lui demandant, tout banalement : « Et toi ? »