C’était une journée tout simplement magnifique pour une promenade. Il faisait beau, il faisait chaud, mais pas trop, simplement de quoi enfiler une veste pour être parfaitement confortable. Je ne disais pas cela seulement parce que je m’occupais de Nora et Dillan pour la journée. Je le disais parce que c’était une journée si parfaite que moi-même je me serais trouvée une excuse pour rester à l’extérieur un peu si je n’avais pas travaillé. Je serais allée faire des courses et si je n’en avais pas eu à faire, j’aurais probablement passé mon temps à faire un peu de lecture, assise sur le petit balcon de la devanture de ma petite demeure. Quoiqu’il en soit, une chose était certaine, c’était que je ne pouvais pas me permettre de tout simplement rester enfermée dans la maison avec les deux bouts de chou dont j’avais la garde. De plus, à son âge, Nora était rendue à l’étape où tout ce qu’elle voulait faire, c’était se dégourdir les pattes, alors le mieux était de lui donner une occasion de le faire. Par conséquent, sitôt que le moment idéal fut venu, je préparai les deux enfants en prévision de cette promenade. Je leur mis chacun un manteau et un bonnet pour qu’ils n’attrapent pas froid, puis je les installai dans la poussette double, gracieuseté de moi, en guise de cadeau de naissance aux jeunes parents. Pour Nora, je n’avais pas pu leur en faire, n’étant pas encore arrivée en ville à ce moment précis, alors je m’étais rattrapée pour le second et je ne le regrettais pas, surtout que cette poussette, mine de rien, me servait à moi aussi. Je mis une couverture supplémentaire pour Dylan, et une fois que tout fut prêt, je quittai la demeure en direction du parc le plus près. Dans un premier temps, mon idée fut, tout naturellement, d’aller vers les modules pour jeunes enfants, histoire que Nora puisse se balancer un peu, jouer dans le sable, manger de la terre, peu importe ce qui pourrait l’amuser. Cependant, ce fut cette petite demoiselle qui m’interrompit dans mon idée en lâchant un petit : « Gros ! » qui m’arracha d’abord un tout naturel « Nora, c’est pas gentil de dire ça… » mais quand je vis où sa petite menotte potelée pointait, je compris qu’elle n’insultait pas qui que ce soit, qu’elle avait simplement vu un marchand qui semblait vendre des gaufres. Le tout me fut confirmé quand je commençai à prendre la route opposée au marchand et qu’elle commença à chigner, m’arrachant ainsi un petit soupir suivi d’un « Bon d’accord… Mais tu ne dis rien à ta maman, on s’entend ? » Sur ces mots, je retournai vers le marchand, commandai une gaufre que je payai, et sitôt, puisque je ne me voyais pas la donner à Nora tout de suite – compte tenu qu’elle serait susceptible de sitôt la jeter par terre – je repérai le banc le plus près qu’il y avait et sans attendre plus longtemps, je m’y installai, donnant finalement la pâtisserie à la petite demoiselle qui s’en montra plus que satisfaite. Puis, tandis que je la regardais manger, tout en surveillant son frère du coin de l’œil pour m’assurer qu’il était toujours tranquille et à l’aise, je ne me rendis jamais compte qu’il y avait une demoiselle qui était installée sur le même banc, et que peut-être même que je venais de la déranger en m’asseyant sans lui demander si cela la gênait ou même si elle attendait quelqu’un.

Je réalisai que je n’étais pas seule sur ce banc de parc au moment où une voix féminine se fit entendre à proximité, me faisant sursauter discrètement dans un premier temps, puis me laissant légèrement gênée dans un second. Pourquoi ? Non pas parce que j’étais du genre associable, impossible à aborder, mais plutôt parce que malheureusement, la potentielle discussion s’était ouverte sur un malentendu pour lequel la demoiselle ne pouvait rien faire. Ce n’était pas comme si elle avait fabulé de quelconque façon ; nombreuses femmes se promenaient dans ce parc, mais la principale différence était que ces femmes, bien souvent, étaient mères de ces enfants, ce qui n’était pas mon cas. Le plus intelligent dans le cas présent aurait peut-être été de le préciser, histoire que la conversation ne continue pas dans le mensonge, mais sans m’expliquer pourquoi, je ne trouvai pas les mots pour le faire. Je me retrouvai donc à considérer la demoiselle, un sourire gêné aux lèvres, me surprenant même à rougir quand elle vint à me dire que j’avais de la chance. C’est là que malgré moi, je compris pourquoi j’étais si perturbée par rapport à tout cela ; parce que oui, je savais que j’avais de la chance de pouvoir m’occuper d’enfants encore aujourd’hui, malgré tout ce qui s’était passé dans ma vie. Cependant, ce qui me chicotait encore plus, c’était que peut-être au fond de moi, j’aurais voulu, effectivement, que ce soit mes enfants dans cette poussette. Je n’allais pas kidnapper Nora et Dylan pour les faire passer pour mes enfants pour satisfaire mes frustrations et tristesses refoulées, quand même. Le mieux que je pouvais faire, c’était l’accepter, et vivre avec, comme j’apprenais à le faire depuis un bon moment maintenant. À présent bien décidée de rattraper le coup, il fallut toutefois que je reporte brièvement mon attention vers Nora qui était en train de créer un champ de bataille avec sa gauche. Souriant doucement, je pris une lingette pour lui essuyer un peu la bouche et les mains afin qu’elle soit plus à l’aise pour manger, puis je me retournai vers la jeune femme quand elle me demanda ils avaient quel âge. Sachant que c’était le meilleur moment pour corriger la situation, je commençai toutefois par lui répondre : « Un an et demi et trois mois… » Un nouveau sourire tout aussi gêné que précédemment apparut encore une fois sur mon visage, puis je finis par ajouter : « Ne vous en faites pas, vous ne me dérangez pas du tout. » Sur ces mots, je déglutis, me rendant compte que je ne savais même pas comment aborder la chose. Comment j’étais supposée faire ça en délicatesse ? Je n’étais vraiment pas douée pour faire des introductions bien tournées, histoire de dorer la pilule. Soupirant doucement, je décidai d’y aller franchement, et je dis : « En fait… Ce ne sont pas mes enfants. Je suis leur nounou seulement. » en faisant une petite moue gênée, la bouche légèrement déformée dans le coin en ce qui était un sourire, ou une grimace, je ne savais pas trop. Quoiqu’il en soit, c’était maintenant dit, restait à voir comment la demoiselle allait réagir, en espérant qu’elle ne m’en veuille pas d’avoir attendu aussi longtemps pour lui dire la vérité, même si cela n’avait été que pour quelques minutes.

En précisant à la demoiselle que je n’étais pas la mère de ces enfants, mais bien leur nounou, je ne voulais pas la mettre mal à l’aise, mais plutôt éviter toute confusion ou question qui pourrait susceptible d’être gênante et me faire passer limite pour une menteuse si cela venait à arriver. Après tout, si jamais elle venait à me demander par simple curiosité si j’allaitais le plus petit ou bien s’il était au biberon, je ne saurais clairement pas lui répondre, et ce serait surtout particulièrement gênant pour moi, alors j’avais mis les choses au clair, mais visiblement, cela n’avait pas eu l’effet escompté. En effet, la demoiselle sembla limite culpabiliser de son erreur, ce qui eut pour effet de me faire culpabiliser à son tour tandis que j’écoutais son raisonnement, ses explications, dont je n’avais pas vraiment besoin, au fond, compte tenu du fait que cela pourrait très bien arriver à tout le monde, moi la première. Pendant ce temps, je tentai de reprendre un peu de contenance, histoire que la discussion ne parte pas en une série d’excuses tournant en rond. Lorsque je sentis que j’eus assez d’assurance pour le faire, je lui dis :  « Vous n’avez pas à être désolée, ce n’est pas grave ! » en lui adressant un sourire chaleureux comme si je voulais confirmer mon propos. Heureusement, cela ne sembla pas vraiment arrêter la demoiselle dans son propos, puisqu’au bout de quelques secondes, elle vint à m’expliquer une constatation qu’elle avait fait récemment, soit que les avis de recherche étaient nombreux pour des nounous ici. Malheureusement, je ne pouvais pas confirmer ou infirmer ce fait, raison étant que pour ma part, voilà maintenant un bon moment que j’avais vu cette annonce dans le journal et que, par miracle, j’étais tombée sur la famille de ma meilleure amie d’enfance. Après, si elle le disait, je voulais bien croire que c’était vrai, mais après, je ne pouvais pas tout à fait me prononcer, ce qui expliqua pourquoi je me contentai de hausser les épaules, puis de dire :  « C’est possible. » avec un petit sourire, me sentant soudainement un peu plus à l’aise quand elle vint à dire quelque chose de pas mal plus simple, la chose la plus simple possible, soit son nom.  Souriant de façon plus sûre maintenant, je vins à lui répondre :  « Lenaëlle, enchantée. » avant de marquer une petite pause pendant laquelle je vins à repenser à ce qu’elle m’avait dit précédemment. À la lumière de cela, je décidai de lui demander, on ne peut plus candidement :  « Ça fait longtemps que vous êtes ici ? », me disant que si elle venait de constater le nombre de demandes pour des nounous, c’était qu’elle cherchait un boulot, ou quelque chose du genre. Après, elle pouvait très bien être ici depuis longtemps, voire depuis toujours, et être simplement à la recherche d’un boulot, puis d’un sujet de discussion, ce qui l’avait poussée à lier les deux et que moi, je me trompais totalement. Ce genre de chose pouvait arriver à tout le monde, n’est-ce pas ?

Je n’avais pas voulu me forger une idée alors que je ne connaissais pas la réponse sur la jeune femme, mais je ne fus pas étonnée de l’entendre me dire qu’elle était arrivée il y a de cela précisément huit jours, me faisant comprendre que l’impression que j’avais par rapport au fait qu’elle était arrivée récemment n’était pas si fausse que cela au final. Toutefois, je ne lui lâchai pas un « ha ! J’avais raison ! » susceptible d’être relativement grossier, surtout que jamais je ne lui avais fait part de mon hypothèse, et que jamais je n’avais eu l’intention de le faire. À la place, j’écoutai attentivement la demoiselle me raconter qu’elle cherchait un travail, puisqu’elle ne pouvait pas vraiment reprendre son ancien boulot, compte tenu qu’elle était anciennement propriétaire de pâtisserie. Hochant la tête avec un petit sourire pour signifier que j’avais bien accusé réception de son propos, et aussi que je m’y intéressais, même si je ne répondais pas dans l’immédiat. Pour tout dire, c’était principalement parce que j’étais persuadée que si je venais à dire quelque chose, ce ne serait pas pertinent, ou peu comparable. Premièrement, je ne pouvais pas dire que cela ne faisait pas longtemps que j’étais à Pasadena ; j’étais née dans cette ville, et j’étais revenue il y a de cela plus un an – me prouvant encore et toujours que le temps passait beaucoup trop vite. Et puis, même si mon âme généreuse voudrait bien lui offrir de se trouver un emploi dans le domaine qu’elle aimait, je ne pouvais pas vraiment le faire, raison étant que je ne connaissais personne qui cherchait un employé en ce moment. Allait-elle prendre un de ces boulots de nounou dont elle m’avait parlé ? Je n’osais pas vraiment lui demander, mais au final, cela joua contre moi, puisque mon mutisme, ce que je pensai sur le coup, fit fuir la demoiselle qui décida de ne pas me déranger plus longtemps, alors que moi, je n’en étais nullement gênée. Paniquant un peu pour le coup, je vins soudainement à lui répondre :  « Oh mais non… » parce que même si la discussion demeurait brève pour le moment, Lidwyn ne me gênait pas du tout, bien au contraire. Et puis, ce n’était pas comme si Nora et Dylan étaient agités dans la poussette. Nora mangeait toujours sa gaufre tandis que Dylan commençait à piquer du nez, à croire qu’il allait s’endormir très bientôt. Bref, rien ne me retenait vraiment en ce moment, ce qui expliqua pourquoi, une fois que j’eus retrouvé ma contenance, je vins à ajouter :  « Vous n’avez pas à partir si vous ne le voulez pas, vraiment. Ce n’est pas comme s’ils étaient exigeants niveau attention pour le moment… » avec un petit sourire qui se voulait sincère pour lui montrer que je ne disais pas cela pour être polie, mais parce que je le pensais. Et puis, même si je ne considérais jamais cela pénible de s’en occuper, cela faisait du bien de passer un peu de temps tranquille, surtout à discuter autrement que par des mots d’enfants dans des discussions bien souvent courtes voire incompréhensibles. Après, si la demoiselle n’avait pas de temps, elle, ce n’était pas la fin du monde, mais je ne voulais pas qu’elle se sente forcée de partir pour moi, vraiment.

Heureusement, mon propos fut suffisant pour faire rester la jeune femme et par conséquent, ne pas me faire sentir coupable de l’avoir faite fuir alors que c’était elle, après tout, qui s’était installée sur ce banc en premier. Plus encore, mon invitation sembla même lui avoir redonné la pêche pour relancer la discussion, ce qui ne pouvait que me réjouir. Toutefois, ce à quoi je ne m’attendis pas du tout, ce fut le fait qu’elle alla même jusqu’à proposer de ce tutoyer. Pour le coup, je fus un peu étonnée, puisque cela changeait du tout au tout de ce qui se passait précédemment, mais franchement, je ne pouvais pas vraiment m’en plaindre, raison étant que j’aimais de loin discuter avec les gens en les tutoyant, surtout quand j’avais l’impression que la discussion se passait bien, comme en ce moment. Ne pouvant qu’acquiescer, je le fis par un hochement de tête accompagné d’un sourire, avant de répondre à sa première question :  « Je suis née ici, mais j’ai passé 20 ans ailleurs. Je suis de retour depuis un peu plus d’un an. » Bien que je ne voyais pas pourquoi je ne lui répondrais pas, j’avais toutefois jugé préférable de ne pas trop m’attarder sur les détails, ne voulant certainement pas commencer à raconter toute ma vie à la jeune femme. Non seulement, je me doutais bien que ce n’était pas ce qui l’intéressait mais de plus, expliquer pourquoi j’étais partie, puis revenue, ce n’était pas vraiment quelque chose avec quoi j’étais totalement à l’aise. Heureusement, Lidwyn ne s’attarda pas trop sur le sujet, me demandant ensuite si cela faisait longtemps que je faisais ce métier. Déjà un peu plus à l’aise de répondre à cette question, je n’hésitai pas à le faire en affirmant :  « Ça fait environ cinq ans. Mais un an ici, évidemment. », en faisant référence à ce que je lui avais dit plus tôt. Avant cela, je m’étais occupé d’autres enfants, prenant des postes d’aide-éducatrice, des trucs comme cela, et une fois, j’avais eu ce boulot de nounou à temps plein, boulot que j’avais ruiné pour finalement avoir une seconde chance ici. Je n’avais clairement pas l’intention de la ruiner également, surtout que je me sentais mieux que jamais je ne l’avais été et ce, depuis maintes années, voire depuis toujours. Bien sûr, je me doutais bien que ce ne serait pas toujours aussi rose, que je devrais apprendre à faire des concessions à un moment ou un autre, mais je verrais bien en temps et lieux. Par exemple, je n’avais pas eu à songer ce que je ferais si jamais je venais à avoir quelqu’un dans ma vie, raison étant que ce n’était pas arrivé depuis. Enfin, il y avait Jensen, bien sûr, mais je n’étais pas au point de commencer à devoir concilier le tout, ce qui expliqua pourquoi, après que la jeune femme se soit excusée de ses questions, de sa curiosité, je lui dis :  « Ne t’en fais pas, je suis curieuse moi aussi par moments. » avant de marquer une pause à l’aide d’un sourire, puis finalement lui dire :  « Non je n’ai personne dans ma vie pour le moment. Du coup je ne peux pas vraiment dire si c’est difficile ou non. » Pendant un instant, je me surpris toutefois à penser ce que ce serait si jamais Jensen et moi allions plus loin dans notre relation, me disant, amusée, que ce ne serait probablement pas compliqué, celui-ci étant le frère de mon patron. Puis, histoire toutefois de ne pas commencer à parler que de moi, je vins à demander à la demoiselle, le plus candidement qui soit :  « Est-ce un métier qui t’intéresse potentiellement ? » Après tout, elle avait parlé des annonces, me posait des questions sur mon boulot, semblait aimer les enfants. C’était une possibilité, après tout, non ?