Ce fut toujours avec le sourire que j’écoutai la jeune femme m’expliquer que même si elle aimait les enfants, même si elle avait déjà une brève expérience de baby-sitting, jamais elle ne ferait de nounou son métier, essentiellement parce qu’elle ne serait pas en mesure de supporter la séparation de la famille par la suite. À ces derniers propos, sans vraiment le vouloir, je devins un peu plus sérieuse, un peu plus renfermée. Pourquoi ? Non pas parce que les propos de la jeune femme m’avaient offensé, mais plutôt parce que je m’étais rendu compte que cela, je pouvais le comprendre, probablement mieux que quiconque. En effet, avant de revenir à Pasadena, j’avais été nounou pour une famille que j’appréciais beaucoup, même s’il y avait toujours eu ce lien professionnel – et le fait que je buvais beaucoup à l’époque – qui m’empêchait de m’attacher pleinement. Cependant, quand était survenu cet accident de voiture pour lequel je me tenais encore responsable aujourd’hui et que j’avais vu la mère de cet enfant me regarder avec dédain, avec haine, j’avais éprouvé cette douleur de séparation, mais surtout du regret par rapport à tout ce qui s’était passé, à mes erreurs qui avaient coûté la vie à une personne au bout du compte. Toutefois, je ne me voyais certainement pas parler de ce qui était probablement mon plus sombre secret à une jeune femme qui ne me connaissait pas, d’où le fait que je voulus tant bien que mal reprendre de la contenance, histoire que cela ne provoque pas de malaise, mais encore une fois, je ne fus pas assez rapide pour réagir ; Lidwyn s’excusa aussitôt de son propos, ce qui me valut de lui dire, un peu maladroitement quand même, parce que mon intention première n’était pas de jeter un malaise, et pourtant, je l’avais fait :  « Oh non, ne t’en fais pas pour ça, je ne suis pas offensée » Je marquai une petite pause, le temps de sourire doucement avant d’ajouter :  « C’est juste que tu as raison, je ne vais pas te le cacher. Par contre, je dois avouer que je suis chanceuse, dans mon cas… » Je reportai mon attention une seconde en direction des enfants, puis je finis par affirmer :  « Je travaille pour ma meilleure amie de toujours. » dans un haussement d’épaules, choisissant de ne pas prolonger mon monologue plus longtemps. J’aurais très bien pu continuer en lui disant que oui, c’était ma meilleure amie, même si nous nous étions perdues de vue pendant vingt ans, et que plus encore, elle m’avait fait une place dans sa famille pour laquelle je lui serais toujours reconnaissante. Limite, je pourrais continuer en disant que je fréquentais son beau-frère, mais là, ce serait probablement aller trop loin dans le « racontage de vie » et je me doutais bien que ce n’était pas ce que la demoiselle voulait entendre. À la place, je décidai de lui demander :  « Sinon, as-tu une idée de ce que tu voudrais faire comme boulot ici ? La pâtisserie t’intéresse toujours ? » jugeant que c’était le moment parfait pour dévier un peu le sujet, et poser une question on ne peut plus candide afin de relancer la discussion et mettre la jeune femme un peu plus à l’aise pour le coup, sauf si elle ne voulait pas aborder ce sujet, bien évidemment.

Ce fut un sourire timide qui fit office de réponse quand Lidwyn en vint à la conclusion que ma patronne – Lullaby en l’occurrence – et moi-même ne devions jamais nous disputer, vu notre relation amicale qui passait bien avant notre relation professionnelle. Pour le coup, il était vrai que j’avais de la chance, surtout compte tenu du fait que nous ne nous étions pas vues depuis vingt ans et pourtant, il n’avait fallu que quelques jours, voire quelques heures pour retrouver notre complicité d’antan, même si l’eau avait coulé sous les ponts, même si nous avions changé et que surtout, nous n’avions plus huit ans. Et surtout, j’avais eu la chance de tomber dans une famille qui voulait bien m’accorder une nouvelle chance malgré tout ce qui s’était passé dans ma vie et aujourd’hui, je n’échangerais mon métier pour rien au monde. En fait, je ne savais même plus si je pouvais vraiment considérer cela comme étant un métier, vu que je ne faisais que prendre plaisir à m’occuper des enfants de Lullaby et Aiden, sans parler du fait que me sentir limite comme un membre de la famille, aucun salaire ne pourrait remplacer la richesse de cette relation. Toutefois, cela ne signifiait pas que je prendrais un autre métier, parce que m’occuper des enfants était, en mon sens, ce que je faisais le mieux. D’accord, je pourrais toujours me recycler en femme de ménage, parce que le rangement et la propreté, ça me connaissait, mais ça, c’était pas mal moins amusant, pas mal moins enrichissant que d’être avec des bout-de-chou à la journée longue. Toutefois, parce que moi je ne changerais pas de métier, cela ne voulait pas dire que tout le monde était comme ça, d’où le fait que je crus bon de m’enquérir sur les idées de carrières envisagées par mon interlocutrice, permettant aussi de détourner un peu le sujet vers elle, et non pas parler constamment de moi. C’est là que j’appris que la jeune femme, idéalement, voudrait rester dans le domaine de la pâtisserie. Acquiesçant d’un signe de tête pour lui montrer que j’accusais réception de l’information, je ne dis rien toutefois, lui laissant l’occasion de poursuivre son discours, discours qui prit une tournure à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Apparemment, la jeune femme se sentit suffisamment à l’aise pour m’expliquer qu’elle avait perdu son commerce parce que son père le lui avait pris. Sitôt, un sourire triste apparut sur mes lèvres, et je me retrouvai sans savoir quoi dire, raison étant que je devais dire quoi ? C’était quelque chose de très personnel qu’elle venait de me confier là, et par conséquent très délicat. Limite, je l’admirais pour me l’avoir dit avec ce qui me semblait être limite de l’aisance, parce que pour ma part, jamais je ne ferais une chose pareille. Il avait fallu que ma meilleure amie me shoote aux brownies à l’herbe pour que je daigne parler de mon ex-mari. Il fallait le faire, quand même. Enfin, puisque là n’était pas le point, je ne cherchai pas à ramener la discussion sur ma personne, me contentant de simplement dire, plus sérieusement :  « C’est triste... Je suis désolée pour toi… » d’un ton que je voulus quand même sincère. Toutefois, puisque je ne voulais pas non plus complètement miner l’ambiance, je décidai d’adopter un ton un peu plus optimiste, puis ajouter par la suite :  « J’espère que tout ira bien ici pour toi alors. Et puis, il y a plusieurs pâtisseries en ville, je suis sûre que tu te trouveras une place. » avec un sourire un peu plus assuré, un peu plus joyeux surtout pour le coup, ou du moins, aussi joyeux que celui-ci pouvait se permettre d’être.

Je ne pouvais qu’être d’accord avec Lidwyn sur le fait que rester à l’hôtel indéfiniment n’était certainement pas la meilleure idée qui soit et que de ce fait, valait mieux qu’elle se trouve un appartement, donc un boulot. Après, je ne pouvais pas vraiment me comparer à elle dans ce cas, raison étant que j’avais eu la chance de pouvoir squatter l’appartement d’une amie à mon retour, le temps de trouver un emploi, puis finalement un logement pour moi-même, logement qui était finalement devenu un petit cottage que j’adorais, tout simplement. De ce fait, je me contentai de lui sourire en hochant la tête, espérant simplement pour elle que tout se passerait bien. Pourquoi ? Parce que ce serait juste méchant de ma part de ne pas vouloir du bien pour elle, même si, pour le coup, c’était difficile de l’aider, ne m’y connaissant pas assez sur les pâtisseries de la ville ou sur les logements disponibles pour pouvoir lui dire quoi que ce soit. C’était un peu moche de ma part, mais que pouvais-je faire de mieux ? Pas grand-chose, malheureusement. Enfin, il y a une chose que je pouvais faire, et c’était de continuer à discuter avec elle, répondre à ses questions, comme je tentai de le faire quand elle me demanda s’il avait une ambassade en ville. Il fallait dire que pour le coup, la question n’était pas simple, surtout pour moi, qui n’avais jamais eu affaire à ce genre d’institution. Soupirant dans un premier temps, je décidai cependant de ne pas baisser les bras, puis je commençai à songer au fait que je m’étais promenée dans cette ville plus d’une fois et que si jamais cette institution existait en ces lieux, je l’aurais su, parce que je me doutais bien que ce n’était pas dans un bâtiment comme les autres. Me basant sur cette idée, je finis par lui dire :  « Malheureusement je ne crois pas… » avant de lui servir un petit sourire triste, déçue de ne pas pouvoir l’aider davantage, encore une fois. Puis, je me rendis compte que je pouvais tenter d’en faire plus. Certainement pas la conduire jusqu’à la porte de l’ambassade, mais lui donner les indications jusqu’à une personne qui pourrait le faire. Voilà pourquoi je cherchai à rattraper le coup en affirmant par la suite :  « Par contre elle doit être à Los Angeles, ou une autre grande ville non loin. Je suis persuadée que si tu te rends à la mairie de la ville, ils sauront te dire où aller ! » Maintenant fière de mon initiative, je continuai en lui proposant :  « Je pourrais t’indiquer le chemin, si tu veux, ça je sais comment y aller. » avec un sourire déjà un peu plus assuré. Je me sentais maintenant un peu plus à l’aise de lui avoir fait cette suggestion, contente de pouvoir me rendre utile, ou plutôt, avoir l’impression de me rendre utile, parce que ce n’était pas certain que Lidwyn accepterait que je lui indique le chemin, quelque chose comme cela. Je ne voulais pas la forcer en quoi que ce soit, même si, pour sûr, cela me ferait plaisir de l’aider, même si ce n’était qu’un peu et ça, je pensais avoir réussi à le lui prouver par l’assurance dont j’avais fait preuve lors de ma dernière tirade.

Bien que je n’étais pas dans le milieu politique et que je ne pensais pas connaître qui que ce soit qui y était, je me doutais bien que ce n’était pas le genre d’endroit totalement pompeux où il fallait absolument être en tailleur pour aller. Dans ma tête, c’était un endroit fait par les citoyens pour les citoyens alors de ce fait, pour aller demander des papiers, ou simplement une indication pour trouver un autre bâtiment, nul besoin de faire de cérémonie. Après, peut-être que je me trompais royalement, peut-être que ce n’était pas ça du tout, mais cela ne fut pas assez pour m’empêcher de répondre à la question de Lidwyn, dans un haussement d’épaules :  « Moi je crois que oui, et que tu ne dois pas t’en faire pour ça ! Tu es très bien ainsi ! » lui souriant doucement avant de l’écouter me poser sa nouvelle question, à savoir si je voulais l’accompagner à la mairie ici et maintenant. Celle-ci exigea toutefois de ma part un peu plus de réflexion, puisqu’il y avait quelques points à prendre en considération. Premièrement, il fallait que je songe au fait que la mairie n’était pas exactement à la porte, mais pas très loin non plus, à une distance raisonnable à pied. Cela ne m’empêchait donc pas d’y aller. La seconde chose à considérer, et en mon sens, la plus importante, était que je n’étais pas seule, que je ne pouvais pas oublier la présence des deux anges qui se trouvaient dans la poussette. C’est pourquoi mon regard se porta sur eux, comme si c’était Nora et Dylan qui allaient me donner la réponse à ma question silencieuse. Nora venait tout juste de terminer sa gaufre, et elle avait attrapé une de ses peluches, marmonnant à celle-ci comme si elles étaient en grande discussion. Dylan, quant à lui, dormait toujours, visiblement parti pour faire sa petite sieste. De ce fait, ils n’étaient pas agités et ne semblaient pas vouloir sortir absolument de la poussette, ce qui me permit alors de dire :  « Tu sais quoi ? Les enfants sont tranquilles, et ce n’est pas très loin, alors je vais t’accompagner avec plaisir. » Évidemment, par la suite, il faudrait que je pense à rentrer à la maison, parce qu’éventuellement, l’heure du repas allait arriver, plein de trucs comme cela, mais je pouvais quand même prendre une petite vingtaine de minutes pour accompagner la demoiselle, non ? Bien décidée à le faire, je me levai donc, et d’un air déterminé, je la regardai pour lui demander, tout en demeurant sympathique, bien évidemment :  « Alors, on y va ? » non pas pour la presser, mais plutôt pour lui montrer que je n’avais pas l’intention de changer d’avis, même si au fond, je savais que je ne pouvais pas me permettre de traîner éternellement. Enfin, je n’allais pas me montrer pressante non plus, mais bon, il était possible d’avoir quand même un juste milieu, n’est-ce pas ?

Je ne sus pas vraiment comment réagir à la nouvelle question de la demoiselle. Pour sûr, pour quelqu’un qui craignait pour le bien-être des enfants, celle-ci était légitime, mais dans mon cas, je ne pensais pas avoir montré de quelconque façon que j’allais les laisser là, ayant même pris le temps de regarder comment ils étaient, si je pouvais me permettre de me rendre à la mairie et de ce fait, les obliger à rester dans la poussette encore un moment. Bien sûr que je comptais donc les emmener, pour moi c’était une évidence, ce qui expliqua pourquoi je vins à me dire que limite, je pourrais être vexée par la question de Lidwyn, surtout que celle-ci semblait totalement sérieuse dans son interrogation. Cependant, puisque je ne voulais certainement pas provoquer une dispute pour un truc comme cela, surtout que je ne connaissais pas vraiment la demoiselle, je ne savais pas si quelque chose la poussait à poser une question pareille. Finalement, je choisis de ne rien en faire, me contentant de répondre dans un haussement d’épaules :  « Bien sûr que non. » en n’ajoutant pas quoi que ce soit, m’en tenant au plus simple pour ne pas étaler au maximum ce que je pensais être sincèrement un malentendu. Toutefois, je ne tardai pas après cela à lui demander si elle était prête à y aller, comme si je voulais me débarrasser de cette tâche le plus rapidement possible. Enfin, là n’était pas mon intention première, mais dans le cas présent, je ne voulais pas non plus rester scotchée pendant une éternité sur cette question qui m’avait quelque peu mise mal à l’aise, même si j’avais tenté tant bien que mal de donner le bénéfice du toute à la jeune femme pendant tout ce temps. Ravie qu’elle accepte finalement de quitter ce banc, je lui fis un petit sourire et finalement, je n’attendis pas plus longtemps pour prendre la route de la mairie. Pendant le trajet, qui fut quand même bref, encore plus que je l’avais imaginé à la base, je ne relevai pas ce qui s’était passé, me contentant de discuter d’un peu tout et rien avec Lidwyn, lui montrant bien souvent certains lieux importants que nous pouvions voir sur la route, histoire qu’elle puisse mieux s’orienter. Non pas parce que je pensais qu’elle ne savait pas le faire, mais plutôt parce que je me disais que ça ne pouvait être qu’utile dans son cas, compte tenu qu’elle venait d’arriver. Lorsque nous arrivâmes devant la mairie, comme prévu, je lui indiquai le bâtiment, mais je n’entrai pas avec elle. Avant qu’elle ne nous quitte toutefois, je décidai, au bout du compte, de lui laisser mon numéro de portable, histoire qu’elle me contacte si jamais elle en ressentait le besoin, que ce soit pour de l’aide ou simplement pour parler. J’avais pris la décision que rien ne servait de faire la tête pour une question qui n’avait peut-être même pas lieu d’être dans un premier temps. Ce fut donc avec une idée pas mal plus positive en tête et un sourire aux lèvres que je partis de mon côté, rentrant à la maison avec Nora et Dylan pour finalement les libérer de leur poussette et laisser l’aînée se promener à sa guise dans la maison, tandis que je prenais soin de son petit frère et ce, pour le reste de la journée.