Lidwyn devait en avoir assez que je la remercies. Il est vrai que je ne me supporterai pas moi-même dans ces conditions. Mais être face à autant de générosité était hors du commun pour moi. Même s'il doit s'agir d'un comportement de gens normaux. Seulement, à Deadwood, être élevé et vivre dans un club de biker, on côtoie peu de gens normaux, et ces derniers avaient tendance à nous isoler parce que l'on faisait peur. Et il y avait de quoi. Avoir du sang sur les mains et l'afficher par un patch dans son dos, c'est totalement logique que les citoyens nous repoussent sans cesse. Je ne peux pas dire que je ne fréquente pas des personnes normales : Sarah-Jane et sa famille ont tant fait pour moi, et je me sens redevable à vie. Ils m'ont aidés à apprendre un métier, ce qui n'était pas mince à faire, lorsque l'on sait que ma seule véritable occupation était de tabasser et flinguer. Certaines de mes ex aussi m'ont aidés du mieux qu'elles le pouvaient. Sans parler de Abel, qui a vécu les mêmes galères que moi et s'en est sorti. On s'est toujours serrés les coudes. Bon, avec mon ancien frère de route, c'est encore différent. On s'entre-aide mais c'est naturel chez nous. Lorsque l'on a vécu dans une communauté fermée, on vit en autarcie. Et l'instinct fraternel reste présent, malgré tout.

Je me promets d'arrêter de la remercier après l'avoir invité, et avoir vu que ça la gênait vraiment. Je pense qu'à force, elle va m'en vouloir pour de bon. Intérieurement, je me couds les lèvres. Le faire réellement serait vraiment trop bizarre et tiendrait bien plus du film d'horreur. Elle me propose de ramener le dessert le week-end prochain, après avoir proposé une liste d'activité lambda, comme j'avais peu l'occasion de les pratiquer.

_Pourquoi pas, un film, une bonne discussion, ou encore, je ne sais pas, une soirée à écouter du bon vieux rock ! Par contre, je tiens vraiment à t'inviter. Donc tu viens les mains dans les poches. Enfin façon de parler, tu peux venir avec les mains sur le volant pour conduire jusque chez moi, tout de même. Je ne veux pas te voir débarquer avec un dessert ou autre. Je crois que j'avais eu une réponse de quelqu'un de normal. C'est difficile de réapprendre les codes de conduite qu'effectue les « civils ». Surtout qu'à chaque fois où j'ai réellement essayé, ça s'est souvent mal finit, et je me suis retranché sur moi-même pour me rappeler d'où je viens. J'ai vraiment en tête la dernière fois, avec Siriam. Lorsqu'elle est partie sans rien dire, j'ai pris la route pendant des mois. J'ai traversé le pays de fond en comble. J'ai côtoyé d'autres Mortocyle-Club, évitant mon ancien. J'ai même failli débuter une période de prospect, à quel point j'ai régressé.

Bien évidemment cette conversation était intervenue avant ma douche et ma mésaventure avec cette dernière. Après avoir emprunté un jean et un t-shirt à son colocataire, qui devait soit être très maigre, soit adorer les vêtements serrés, j'entendis un bruit dans la salle de bain. J'avais bien évidemment proposé mon aide pour réparer la douche, et Lidwyn avait dû vouloir constater par elle-même les dégâts.

Effectivement, Lidwyn était sur le sol, les « fesses dans l'eau » pour reprendre dans les grandes lignes ces termes. Je l'aide à se relever, voulant m'assurer que tout allait bien. Je lui fis un petit test de mémoire rapide, afin d'être sûr qu'elle ne s'était pas cogné la tête. Ce mini-questionnaire, je l'avais utilisé par le passé. Il faut dire que beaucoup de bikers sont d'anciens militaires, et qu'ils ont reçus une instruction en infirmerie basique. De plus, pour avoir vu des tonnes d'ambulanciers poser ces questions -aussi bien à moi qu'à mes anciens frères- je ne pouvais que les appliquer.

D'ailleurs je venais de me rendre compte, à l'instant même, que Lidwyn avait pu « admirer » mon torse, et ce test me rappelait toutes les fois où j'avais été recousu à divers endroit sur ce dernier. Elle avait donc pu, par la même occasion, constater mes cicatrices de ses yeux, non pas qu'elles soient évidentes. Beaucoup d'entre elles avaient finis par disparaître presque totalement, mais certaines étaient encore bien visible, ce qui me fit quelque peu rougir.

Elle me demande de réparer la fuite rapidement, j’acquiesce d'un mouvement de tête. Je m'en charge. lui dis-je avant qu'elle surenchérisse qu'elle va se mettre en pyjama. Bien évidemment, je suis obligé de m'allonger pour dépister d'où vient la fuite, après avoir retiré les caches en plastiques du receveur de douche. Je vois que le tuyau d'évacuation d'eau s'est percé, à force d'usure, au niveau du joint. Je réfléchis un instant et retrouve Lidwyn dans sa chambre, après avoir frappé bien sûr.

_Dis voir, je me demandais si tu avais du silicone ? En fait le joint à finit par s’effriter et s'est percé. Donc il suffit d'en refaire un, et à moins que tu en es un neuf, en attendant un plombier, ça pourrait tenir quelques semaines. Je la regardais dans les yeux attendant sa réponse.

Elle voulait venir en métro ou en bus. Je réalisais que sans doute elle n'avait pas le permis. Ou peut-être tout simplement pas de voiture. Beaucoup de gens des grosses villes s'abstiennent d'acheter une voiture et en loue une lorsqu'ils s'en vont en week-end. Je réponds à sa demande de mon adresse

_687 Jones Avenue. Normalement tu verras une grande pancarte du « garage Blaze », c'est la maison qui sera sur le côté un peu en arrière. Je suis sûr que Léo va t'adorer! Je souris en songeant que Léo, mon chien, adorait avoir de la visite. Et en général, avec son bandana autour du cou, plus d'une le trouvaient craquant.

S'ensuivit l'incident de la douche. Bien évidemment, je me proposais de l'aider à réparer cette dernière pour que cela puisse tenir jusqu'à l'arrivée du plombier. Je partis la voir pour lui demander du silicone. Et pour une raison qui m'était totalement inconnue elle se mit à rougir. Elle me répondit qu'un magasin en vendrait sûrement, et me demandait si elle pouvait prendre une douche.
_Oh, ça devrait aller. J'ai fait en sorte que la fuite soit aussitôt absorbée en plaçant des chiffons au niveau de l'évacuation. En gros, de l'eau coulera encore mais la salle de bain ne devrait pas être inondée.

J'enfile ma veste de biker, pour éviter d’exhiber le t-shirt moulant et parti chercher du silicone. Bien sûr, une fois arrivé en face de l’ascenseur, je m'arrête un instant, cherchant les escaliers du regard. Une fois ceux-ci dans mon champ de vision, je les emprunte, et me dirige vers la sortie de l'immeuble. Une vingtaine de minutes plus tard, j'avais remonté ces derniers, et frappait à la porte de chez Lidwyn, légèrement essoufflé à cause de l'ascension. Une fois qu'elle m'eut ouvert, je lui montre le tube de silicone en guise de trophée, et souriant. Cela devait se voir que je n'avais pas emprunté l'ascenseur, à cause de ma respiration quelque peu accélérée.

_J'ai trouvé ce qu'il faut pour ta salle de bain! Je franchis la porte et me dirige vers les lieux de l'incident. Je m'allonge sur le sol, retirant le chiffon que je place dans le réservoir de douche. J’essuie bien le joint effrité et applique du silicone afin de contenir l'eau dans l'évacuation. Je me relève et constate que je suis à nouveau trempé au niveau du torse. Je grimace et retire le t-shirt que Lidwyn m'avait si gentiment prêté. Je la retrouve et lui dit, alors que je suis torse nu

_J'ai remis un filet de silicone. Ça devrait tenir quelques semaines, le temps qu'un professionnel arrive. Par contre il faut qu'il sèche un petit peu. Donc en gros, évite de te doucher pendant une douzaine d'heure, histoire d'être sûr que ça soit bien pris, et qu'il n'y ait plus de fuite. Je réfléchis un instant, me disant que j'avais autre chose à lui dire, et lorsque je sens le courant d'air sur mon torse, je me souviens Au fait, j'ai eu à nouveau un incident, le sol était encore humide et le t-shirt est trempé… Je suis désolé Je grimace et ajoute J'ai essuyé les dégâts.

Lidwyn s'interroge au sujet de Léo. Je compris aussitôt que tout le monde ne pouvait pas le connaître, bien que sans lui, j'aurai pété plus d'un câble. Léo est la raison pour laquelle je revenais à Pasadena dés que je prenais la route dans l'optique de tout fuir, le temps d'un voyage en Harley. Je lui répondis simplement

_Léo est mon chien. Je ne connais pas vraiment sa race. Je crois que c'est un bâtard. Il a d'ailleurs tout du bâtard typique. Pas de couleur à proprement parlé, un genre de mélange, sous forme de tâches, allant du blanc au brun. Il un poil ni trop court ni trop long. Le juste milieu. Et je dois avouer, depuis que je lui ai mis un bandana autour du coup, il charme plus d'une demoiselle! Je m'arrête un moment, songeant à mon chien. Il doit avoir fait un carnage pas possible depuis hier. En gros, Léo est un de mes meilleurs amis ! Voire le meilleur, ex-aequo avec Abel!

La réparation, entre-coupée par un ravitaillement en silicone, se fit facilement. Entre-temps, Lidwyn avait pris sa douche. Lorsque j’eus finis, je me dirige vers sa chambre torse nu pour lui faire mon rapport. Quand elle ouvre, c'est en pantalon et soutien-gorge que je la trouve. Je détaille un moment son corps me disant qu'avoir une copine me manquait. J'avais l'habitude de voir des femmes en petites tenues. Surtout lorsque j'étais à Deadwood. Mon club avait acheté pendant un temps un studio de porno. C'était préférable au deal d'armes. C'est ce que j'avais songé lorsque je leur avais présenté le projet. Bien sûr, le studio a été détruit par un club rival et le deal d'arme avait repris de plus bel. Mais là, il était question de Lidwyn, une fille très gentille qui avait le cœur sur la main. Elle se tenait à moitié nue, devant moi. Et j'étais… à moitié nu aussi. A en croire l'image que je me faisais de nous, ça ressemblait à un scénario de porno. Fort heureusement, je n'avais nulle intention d'aller plus loin. Je respectais Lidwyn. Trop pour tenter quoique ce soit qui finirait par la faire fuir de la ville, comme les précédentes ont finit par le faire.

Lidwyn me dit que je pouvais aller rechercher un t-shirt. J'esquisse un sourire et commence à partir puis me retourne pour crever un peu l'abcès. Après tout, c'est surtout elle qui rougissait depuis le début. Pour ma part, j'en avais vu d'autres. Dans mon ancienne vie, la gêne n'avait pas de place.

_Écoute, je sais que c'est bizarre, qu'on se voit ainsi. Toi à moitié nue. Moi, guère mieux. Je songeais à mon accoutrement de tout à l'heure : une simple serviette autour du bassin Mais je ne veux pas que la gêne prenne le pas. Pour ma part, ça ne change rien. Et puis je suis régulièrement torse-nu, lorsque je bricole donc si on en vient à devenir amis, tu risque de me voir de nombre fois dans cet accoutrement. Tu finiras par t'y habituer! Je lui fis un clin d'oeil et me dirige de nouveau vers la chambre de « baby » pour y retrouver un haut. Cette fois-ci, je ne trouve que des trucs moulants, à cause de la différences de taille et de gabarit sans doute. J'avais eu de la chance la première fois, avec le t-shirt. La seule chose qui paraissait un peu plus ample fut un débardeur, sûrement destiné au sport. La couleur était blanche. Et un débardeur moulant faisait sans doute moins tâche qu'un t-shirt moulant. Donc l'affaire était pliée. Je sors de la chambre du coloc' de Lidwyn puis regarde où en sont mes vêtements dans le séchage improvisé. Dépité, je rejoignis la cuisine où je me mis à contempler Pasadena par la fenêtre, attendant le retour de Lidwyn. Je songeais à fumer, mais je n'osais pas le faire chez elle. Certaines personnes n'apprécient pas ça. Alors inconsciemment, je me mis à me ronger les ongles.

Être chez Lidwyn était un réel plaisir. M'avoir accueilli ainsi, me laisser dormir chez elle, m'offrir le petit-déjeuner, et j'en passe.. Mais je n'avais qu'une envie, regagner l'environnement extérieur pour me griller une cigarette. J'aurai pu en fumer une, en allant chercher le silicone, mais je n'y avais pas pensé. L'esprit trop embrumé pour songer à m'allumer une clope. Je m'étais concentré sur la fuite dans la salle de bain de Lidwyn, sans prendre une minute pour « m'intoxiquer » comme dirait certains. Et là, maintenant que j'avais finis, et que j'étais bien éveillé, je ne songeais qu'à ça. Lorsque Lidwyn me rejoignit dans le salon, elle m'annonce qu'elle souhaite être mon amie, pas plus. Je souris et me tourne, la regardant ainsi.

_Je ne sais même plus de quoi on a parlé hier, mais crois moi, vaut mieux qu'on reste amis. Sinon tu finirais par fuir cette ville toi aussi. C'est pour ton bien à dire vrai, d'ailleurs! J’eus un léger rire, ce qui m'étonnait d'ailleurs. Depuis quand arrivais-je à rire de ceci ? Juste qu'ici, je n’éprouvais que de l'amertume et de la tristesse en songeant à mes précédentes copines. Particulièrement en songeant à Jude, qui m'avait fait sortir de mon club pour me faire vivre avec elle. Et lorsque je pus enfin vivre à Pasadena, quitter Deadwood, c'était pour retrouver un fantôme. La dernière en date, Siriam, avait été pendant longtemps une de mes meilleures amies. Puis j'ai compris, alors que je me remettais difficilement d'une rupture - si on peu parler de rupture, lorsque la personne fuis – qu'elle voulait bien plus. Alors on a essayé. Pendant 2 mois, j'étais heureux. Puis ça c'est dégradé, un genre de lassitude. Même notre amitié avait été compromise. Plutôt que de mettre les choses au clair, elle a fuis. Bref, ce qui me choquait, à l'instant, fut que j'en riais.

Puis s’ajoutait la question de ce que je comptais faire maintenant. Je réfléchis un instant, aussi court soit-il et finit par donner ma réponse. En fait, je comptais rentrer chez moi. Non pas que je ne t'aime pas, ou à cause du fait qu'on se soit vu dans des tenues des plus simples, mais surtout car j'ai envie de me griller une clope ! Je sais que ça peut paraître stupide, mais j'ai une de ces envies de fumer. Depuis hier soir je n'en ai pas allumé une. Ce qui au passage est exceptionnel en ce qui me concerne. Et puis je pense que tu vas avoir envie de faire autre chose de ton dimanche que d'avoir un biker sur les bras donc je vais te libérer de ma présence J'accompagnais mon discours d'un sourire des plus simples, la remerciant encore une fois du regard.

Lidwyn me regardait de la même manière dont certaines filles, que j'ai pu connaître par le passé, m'avait regardé. Cet espèce de monstre humain, qui n'arrivait plus ou s'interdisait d'aimer. Oh, sur un point, elle n'avait pas tord, j'imagine, ou du moins elle s'approchait de la vérité. On m'a interdit d'aimer, de ressentir quelconque sentiment depuis mon plus jeune âge. J'avais fais le chemin inverse avec Jude. J'avais appris à aimer, à m'ouvrir, à être tout sauf un monstre sanguinaire. Je me sentais vivant, à l'époque, grâce à ce truc qui coulait dans mes veines, en plus du sang. Le nommer « amour » était difficile pour moi. Je préfère l'appeler « truc ». Et je courrais après cette dope, cette nouvelle drogue, jusqu'alors inconnu de ma personne. J'avais retrouvé cette sensation, amoindri certes, avec deux/trois filles. La dernière fois que ce fut fort, c'était avec Siriam. Et je constatais qu'intérieurement je me répétais, je ressassais toujours les mêmes peines. Un peut comme si, en mon âme, beaucoup de portes étaient ouvertes, amenant à un chemin sanglant, ou une vie de déprime. Et que la seule qui était sur le point de ce refermer, était celle du « truc ». Et mon esprit s'interposait, retenait les battants de cette porte, pour me faire souffrir. Me montrer ce que j'aurai pu connaître, mais ce que j'ai perdu aussi. Et dés qu'un nouvelle élément, concernant le domaine de ce « truc » apparaissait, il était aspirait par ces limbes lumineuses, et finissait par être perdu dans cette folie de bonheur. Je comprenais, en voyant son regard que je n'étais que l'ombre de moi-même. J'avais rayonnais en tant que Prince de mon club par le passé. J'étais en passe de devenir le Roi, à vrai dire. On me craignait. J'allais régner sur Deadwood et ses environs. Puis ce « truc », m'a extrait de cette voie ensanglantée. J'étais maintenant un garagiste, qui buvait pour oublier qu'un jour il a caressé le bonheur sans réellement l'attraper. Voici l'histoire de Dean, le monstre qui avait voulu devenir homme mais qui finissait zombie. C'est ce que je lisais dans ce bref regard. Puis, Lidwyn m'explique qu'elle ne quitterai pas Pasadena, et ses raisons. Je compris, malgré des parcours différents, que je n'étais pas seul dans cette prison. Je ne su bien sûr quoi répondre après ces pensées, et effectue simplement un mouvement de tête, attestant de mon soutien.

J'en viens à bifurquer sur mes projets pour la journée, ce qui au passage fit sourire la belle demoiselle, et attends d'entendre ses projets après lui avoir dit que je comptais la libérer. De la pâtisserie. Elle me propose d'être cobaye. L'offre est alléchante, mais ne résout pas mon problème de cigarette jusqu'à ce qu'elle ouvre la fenêtre, présentant sur un balcon une table d'extérieur et… Un cendrier. L'objet de mes désirs immédiat. Je ne peux plus refuser et m'empresse d'aller sur le balcon pour m'allumer une cigarette. La première inspiration de tabac me fait un bien fou. Je me tourne vers la fenêtre et la regarde.

_Alors du coup, je risque pas de rentrer maintenant, s'il est question de gâteaux, et d'un cendrier où je peux m'intoxiquer ! Compte sûr moi pour être ton cobaye, Lidwyn ! Je souris, bien évidemment ! Si j'avais su qu'il était là avant, j'aurai sans doute déjà grillé deux/trois cigarettes. Tu es vraiment quelqu'un de formidable. Je te l'ai déjà dit, ou fait comprendre, mais tu gère, vraiment! Je la regardais et m'occupe de fumer un peu plus à chaque seconde.