Wayne avait pris pour habitude d'observer sa fille, de loin, sans oser l'approcher. Le quadragénaire la guettait, comme on observerait un bijou derrière une vitrine. Il tâchait de se faire très discret et ne lui avait encore jamais adressé la parole. Il ne savait pas comment entrer dans sa vie et se demandait même encore s'il en avait le droit. Après tout, comment faire ? Se ramener comme une fleur et lancer un simple « Salut, je suis ton père biologique ! » alors qu'il n'avait jamais été présent pour elle ? Il le regrettait. Il regrettait ses années passées à devenir un étranger pour cette jeune femme. Il la trouvait très belle, cela dit et était fier de voir qu'elle était débrouillarde. Elle devait tenir cela de sa mère. D'ailleurs, bien souvent, Wayne s'était demandé ce qu'aurait été sa vie si sa relation avec Joan n'avait pas été si peu sérieuse. Mais jamais il ne le saurait ! Et puis, maintenant qu'il avait Elizabeth et Sky, il était loin d'être malheureux. Au contraire, c'était un homme heureux. Assez discret, le co-fondateur de son entreprise passait plus souvent dans la presse que lui. Wayne était le genre d'homme qu'on ne remarquait pas dans la masse lorsqu'il ne souhaitait pas être vu.

Ce jour-là, Cordelia était entrée au Starbuck's. Son père était resté debout de l'autre côté de la rue à l'observer à travers la vitrine, avant de se décider à entrer. Un bon café ne lui ferait pas de mal, surtout qu'il avait des clients à voir dans peu de temps et une boîte à diriger. Il entra donc et commanda un bon gros gobelet de café avant de se diriger vers le fond de la pièce, ayant repéré une place très bien situé pour pouvoir observer les habitudes matinales de Cordy. Mais lorsqu'il passa à côté de la table où était installée sa fille biologique, il s'arrêta sans réfléchir et formula une phrase polie pour demander s'il pouvait s'asseoir sur la chaise située à ses côtés. Son cœur se mit à battre frénétiquement, c'était la première fois qu'il osait une telle approche. Il n'avait pas réfléchi... C'était venu naturellement. Et voilà qu'il était assis juste à côté d'elle, n'osant même pas dire un mot. Il sursauta lorsqu'il entendit la voix de la jeune femme venir lui chatouiller les tympans. Il ne s'attendait certainement pas à ce qu'elle lui adresse la parole de cette façon !
« Euh... Oui, peut-être. » affirma-t-il doucement, bégayant un peu sous le coup de la surprise. « Non, non vous ne divaguez pas.... euh... » Non, il ne risquait pas de lui dire qu'il la suivait souvent juste pour la regarder et trouver le courage de venir l'aborder un jour. D'autant plus qu'il était en train de lui parler ! C'était un énorme pas ! « Enfin, j'habite le quartier, alors on s'est peut-être croisés de temps en temps. » finit-il par affirmer, mentant. Sans oublier qu'elle aurait pu le voir sur une brochure de presse. Il ne savait pas si elle connaissait son nom, enfin si sa mère lui avait raconté qui était son père. La situation en devenait de plus en plus stressante. « Vous êtes étudiante ? » finit-il par demander afin d'attiser la conversation. Ce qu'il pourrait être heureux si elle se livrait, ne serait-ce que par quelques mots encore, à lui.

Cette rencontre était vraiment troublante. En sortant ce matin, même s'il avait prévu d'observer sa fille biologique de loin, comme il en avait l'habitude, il ne pensais cependant pas qu'il lui adresserait la parole. Il ne parvenait pas à comprendre ce qui était en train de se passer, c'était comme un rêve éveillé et en même temps, le pauvre Wayne n'avait aucunement le droit de parler, de dire qui il était, ce qu'il faisait, pourquoi il avait choisi cette place, à ses côtés et non une autre. Il bafouillait, il perdait un peu son vocabulaire, mais il finit par reprendre ses esprits. Imaginez un peu qu'elle pense qu'il la draguait. Il eut un rictus envers lui-même face à cette pensée, tentant de reprendre son sérieux et de trouver quelque chose d'intelligent à dire, un moyen de rendre la conversation dynamique et intéressante, un moyen de connaître sa fille davantage que de vue. Ce ne serait pas aisé, d'autant qu'il ne pouvait pas encore ouvertement entrer dans sa vie. Que feriez-vous si un type que vous n'aviez jamais vu venait vous retrouver en affirmant sobrement « Je suis ton père. » ? Sans doute lui rirait-elle au nez avant de tourner les talons. Il n'avait jamais fait partie de son existence et même si très dérieux de vouloir y remédier et rattraper le temps perdu, il ne pouvait pas effacer et retracer ce passé loin de Cordélia. Finalement, elle ne prit pas peur et ne se posa pas davantage de questions, au contraire, la demoiselle lui répondit le plus simplement et naturellement possible. Il lui sourit, s'apprêtant à lui répondre lorsqu'elle reprit la parole, jouant aux devinettes. Ce que cette candeur pouvait lui plaire. Il lui sourit encore de plus bel lorsqu'elle rougit avant de se taire, pensant être allée trop loin dans son intimité. « Non, non, ne vous en faîtes pas... Je vous en prie... j'ai commencé en premier, de toute façon. En plus, vous avez raison. Vous êtes vraiment forte au jeu des devinettes ! J'ai un bon poste oui, et je travaille dans l'informatique. » Il but une gorgée de son breuvage, des tas de pensées lui traversant l'esprit. Il avait tant de choses à lui demander... Mais ils n'étaient que deux inconnus. Et pour Cordélia, il n'était que le mec venant de s'asseoir à côté d'elle, au Starbuck's et discutant comme s'il n'avait pas d'amis. Il se retînt de pousser un soupir. Comment la retenir, comment continuer cette conversation sans la mettre mal à l'aise ? Comment faire pour en apprendre davantage ? Rester naturel, oui c'était la soluton. Et comme Wayne était un homme plutôt spontané d'ordinaire – c'était d'ailleurs ce qui avait fait de lui ce leader d'entreprise et cet entrepreneur farouche - il osa finalement recommencer le jeu des questions. « Et donc... vous êtes en littérature ? Vous étudiez quoi exactement ? » Il eut un nouveau petit sourire. Il ne se lasserait décidément jamais de regarder sa fille dans les yeux, même s'il n'osait toujours pas tenir son regard très longtemps. Ce qu'elle était belle, aussi belle que sa mère. Et en la voyant, là, face à lui, il se demandait comment il avait pu la laisser tomber. Même si Joan ne voulait pas de lui dans sa vie, il aurait pu s'imposer un peu plus... Au moins à distance. Il s'était écrasé et, à présent, il ne serait pas simple de gagner la confiance de la demoiselle et vraiment difficile de trouver le courage de lui avouer la vérité. « J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour les gens en lettres, ça n'a jamais été mon fort... » Il eut un petit rire nerveux, mais prenait ses aises et ne bafouillait plus du tout.

Wayne se rendait bien compte que son interlocutrice était gênée par la conversation et il se demandait s'il ne ferait pas mieux de s'excuser et de partir, la laissant boire son café sereinement. Mais,voilà, il se rendait compte que c'était certainement une chance inouïe que de pouvoir lui parler en une occasion si sympathique, alors il restait là, simplement à attendre sa réponse. De toute façon, si elle trouvait que cet inconnu allait trop loin, elle le lui dirait n'est-ce pas ? Sinon, c'était qu'il s'était trompé et que cette jeune personne n'était pas sa Cordélia. Elle devait forcément être franche du collier comme sa mère. Sinon, comme elle avait été élevée dans la politesse -il l'espérait grandement- elle donnerait une fausse excuse pour s'en aller ou changer de place. Il eut un sourire en l'écoutant. C'était amusant d'entendre ainsi la voix de sa fille. Il essayait de s'imaginer de quelle façon et avec quelle tonalité elle parlait étant enfant. Si seulement il n'avait pas été aussi bête ! Et là, malheureusement, il n'était qu'un inconnu à ses yeux et il ne pouvait rien partager d'autre qu'une sorte de rencontre où il devait faire semblant qu'elle n'était rien pour lui. C'était si compliqué pour son pauvre esprit. C'était sa fille, son enfant, la chair de sa chaire ! Il sourit en écoutant attentivement.
« J'avoue que oui, je ne comprends rien de ce que vous me dîtes, mais ce serait certainement pareil si je vous parlais de mon boulot. » Il rit très légèrement. Ce qu'elle était charmante ! Exactement comme il se l'était imaginée. En même temps, il n'avait aucun droit d'être déçu. Pour lui, elle était parfaite, enfin elle devait avoir des défauts, mais il ne voulait pas en entendre parler pour le moment. « Pourquoi bizarre ? Il n'y a rien de bizarre à être passionné, au contraire ! » déclara-t-il pour la rassurer car elle avait l'air de se sentir comme une créature étrange, alors que, bien sûr, ce n'était pas le cas. « Vous êtes en quelle année ? » et oui, il n'avait pas pu se retenir et posait encore une nouvelle question, se taisant ensuite simplement. Mince, si cela se trouvait, il commençait à la barber. Il espérait que ce n'était pas le cas...
Et soudain : le miracle. Elle se présenta. Le moment tant attendu et redouté. Connaissait-elle le nom de son père ? Avait-elle déjà eu des échos ? Il devait certainement se contenter de lui dire son prénom. Oui, ce serait certainement bien plus sain et plus sécuritaire. Il sourit, serrant avec force et délicatesse à la fois la main que Cordy lui tendait poliment. « Wayne. Et je suis ravi de vous rencontrer. » déclara-t-il, lâchant la main en question pour boire de son café. « Vous venez souvent ici ? » demanda-t-il ensuite. Une question pour avoir des infos dissimulés, par exemple s'il pouvait encore la recroiser par hasard dans ce Starbuck's, sans avoir à la filer. Il espérait sincèrement que cela passerait crème et qu'elle ne se demanderait pas s'il ne lui tendait pas un piège. Après tout, pour une jeune femme de son âge, un homme d'une quarantaine d'années, qui la questionne et qui veut en savoir plus sur ses habitudes, peut toutefois allumer la lumière « pervers » dans son esprit. De nouveau, il eut un petit sourire franc. Ouh la la, il demandait n'importe quoi, trop vite, sans réfléchir. Mais il était tellement excité ! C'était la première fois qu'il pouvait réellement parler à sa fille ! Et il n'était pas prêt de lui dire la vérité, mais... Lui parler ! C'était si énorme !

Lorsque Cordélia lui affirma qu'elle avait fait deux ans à Pasadena, il eut envie de lui demander où elle avait pu bien faire sa première année d'études. Mais il se retint, il sentait que la demoiselle était un peu tendue. Peut-être était-il allé un peu trop loin dans les questions. Il but une gorgée de son breuvage avant de lui offrir un sourire sincère. Si seulement c'était plus simple de lui avouer, là, tout de suite, qu'elle était sa fille et qu'il voulait renouer contact. Mais il n'y parviendrait pas et puis, ce n'était ni le moment, ni le lieu pour cela. Un inconnu vient vous avouer un secret tel que celui-ci, ce n'est pas évident, surtout quand on est là, à prendre une petite pause café au Starbuck's.
Il ne cessait de la regarder, comme si c'était une jolie perle. Il tournait de temps en temps la tête pour rearder son verre en carton, afin que son regard ne soit pas trop incistant. Il se râcla la gorge un instant en l'écoutant simplement. Il état vraiment hypnotisé par cette rencontre, par la voix de sa fille. Cela faisait tant de bien d'enfin faire sa rencontre, après tant d'années. Les présentations avaient été faites, non pas en bonne et due forme, mais tout de même. Il pourrait à présent lui dire bonjour quand il la verrait. Il pourrait tenter de se rapprocher un peu, avec le temps, avant d'enfin avoir le courage de tout lui raconter. Il se demandait s'il aurait un jour ce courage. Certainement Wayne aurait besoin de l'aide de Joan pour celui, il n'en doutait pas. Ce serait plus simple si la mère de Cordélia amenait l'affaire sur un plateau. Il ne pourrait pas compter sur elle pour que la demoiselle apprenne son identité, d'ailleurs, il ne le voulait pas, mais au moins pour qu'elle l'aide un peu... Qu'elle lui dise comment faire exactement, comment trouver un approche logique et adapté à Cordélia. Sa fille, une simple inconnue pour lui.

Soudain, elle lui posa une question qui le fit rougir de nervosité. Mince, il ne pensait pas avoir déjà dépassé les bornes. Au moins, cela voulait dire que son enfant était quelqu'un de prudent et c'était un bon signe. Elle ne se confiait pas au premier venu. Mais il avait raté son coup, au lieu de la mettre en confiance, il l'avait effrayée. Bon, en même temps, il y était peut-être allé un peu fort pour une première approche. Il fit une petite moue gênée avant de lui sourire timidement.
« Je... Je suis désolé si je me suis montré un peu trop insistant. Je ne voulais pas vous déranger... C'est juste que j'aime bien faire des rencontres, je suis du genre à poser un tas de questions... et que je suis très curieux. » déclara Wayne en guise de réponse, sans vouloir dire sa véritable identité ni apeurer davantage son interlocutrice. Au contraire, il cherchait un moyen de la rassurer. « Je ne voulais pas paraître trop... Enfin, je ne voulais pas vous faire peur... Ne vous inquiétez pas, je vous jure que je ne faisais que parler, je n'ai aucune mauvaise attention... » Aïe, ce devait être encore plus flippant pour elle d'entendre ce genre de mots sortir de la bouche d'un homme d'une quarantaine d'années qui disait l'avoir croisée à plusieurs reprises dans le coin.