Aussi loin qu’il puisse s’en souvenir, Aaron avait toujours voulu être un soldat. Cette figure d’autorité et de courage qui l’appelait dans chaque aspect de sa vie: à la télévision sauvant le monde avec allure et une bande-son épique, dans la cour de récrée à sauver ses camarades de menaces imaginaires, dans sa chambre à recréer de grande bataille avec ses figurines. Chaque moment de sa vie avait été synchronisé pour ce même objectif. Une forte personnalité, un physique et des notes exemplaires, Aaron n’avait eu qu’à attendre sa majorité avant de s’engager. Il n’avait pas été le seul de ses proches à s’engager dans cette voie, ce qui donnait à la chose un certains goût d’aventure, tel un road trip entre amis. Lui se décida pour l’armée de terre, quand d’autres comme son cousin Aiden optèrent pour les marines. Aaron n’avait certainement pas eu la bénédiction de tout le monde. On avait cherché à l’en dissuader à coup de récits traumatisants et autres  arguments pour le faire culpabiliser de laisser ses proches derrière, condamnés à le voir revenir dans une boîte. Et ça n’avait en effet pas été de tout repos. Son cerveau comme son corps devaient être au maximum de leur capacité à chaque instant, et les conditions de vie en terrain hostiles comme en repos, n’étaient pas idéales. Même là, dos à une barricade et le sifflement des balles à ses oreilles, Aaron ne pouvait regretter. La respiration haletante, ses doigts se voulaient maladroits alors qu’il essayait de recharger son arme. Il lâcha un juron, donnant l’opportunité à une rafale de vent de s’infiltrer dans sa gorge, le sable irritant tout sur son passage. Ce foutu sable. Il était impossible d’y échapper, chaque grain s’infiltrant dans chaque ouverture, chaque profondeur. Il lui arrivait de rêver des vacances qu’il allait s’offrir une fois en congé. Avec les jeux de cartes, les fantasmes étaient la seule distraction disponible pour les soldats. Certains décrivaient les plats les plus succulents, une torture inutile quand les mêmes rations fades allaient remplir leur estomac le soir même. D’autres comme Aaron s’imaginaient partir au loin, s’éloigner du désert pour des paysages verdoyant et le son de l’eau pour les bercer la nuit. D’autres encore parlaient de leur famille ou de cette fille qu’ils allaient demander en mariage une fois rentré au pays. La fidélité était presque une vertu miraculeuse dans les conditions de l’armée. Du moins ça l’était pour Aaron. Au bout d’un certains temps, les lettres romantiques et les moments solitaires étaient devenus une frustration qu’il était facile de briser. Aaron avait quelqu’un qui l’attendait aux Etats-Unis. Olivia. Ils se connaissaient depuis le lycée et n’avait que récemment entrepris une vrai relation. Ce n’était pas particulièrement son modus operandi, préférant garder quelques distances, pas le moins du monde intéressé à ajouter des responsabilités à sa vie déjà bien trop chargée par son désir de protéger et servir. Mais il tenait à Olivia et avait donné une chance à cette vie de couple. Il ne s’en était pas mal sorti selon lui. Malheureusement, il dû retourner sur le terrain, la laissant derrière. Elle avait glissé une photo d’elle dans ses bagages et Aaron n’avait au début pas su ou la mettre. D’abord dans l’intérieur de son uniforme, mais l’idée qu’un ennemi arrache l’objet de sa dépouille le rendait nauséeux. Puis au dessus de son lit, mais la chose devint gênante quand le récit de son infidélité ne fut plus un secret pour personne. Aaron n’avait pas été voir ailleurs au premier moment de solitude, il n’était pas complètement ignoble. Il avait cherché à résister à son physique avantageux, ses mots tranchants et taquins, la force qu’on ne retrouve que chez une femme soldat, mais il avait fini par céder. C’est pourquoi la photo aux coins abîmés se trouvait désormais entre les pages d’un livre qu’il ne comptait pas lire. Son pays natal semblait si loin, comme si cette vie qui l’attendait là-bas n’allait jamais vraiment continuer. Aaron enfilait le même uniforme chaque jour, trouvant du sable dans les recoins les plus inconfortables. Il exécutait chaque exercice, chaque mission au mieux de sa capacité, son rêve d’enfant à la hauteur de la réalité. Il traversait de vraies zones de combat et témoignait de choses à jamais imprégnées sur sa rétine. Il s’habituait au poids et la froideur des plaques sur sa poitrine, jusqu’à se sentir nu sans. Il trouvait refuge dans les bras d’une autre, la précarité de la situation faisant naître bien trop vite des sentiments qu’il ne souhaitait pas gérer. Aaron soupira lentement, suivant sa cible calmement avant de presser la détente. Un cri étouffé et le corps percuta le sable dans un nuage de poussière. Il y a des choses à laquelle on ne s’habitue pas vraiment. Prendre une vie en était une, mais Aaron ne laissait pas ce détail le tenir éveillé la nuit. C’était son devoir après tout. Une exclamation s’échappa du camp adverse et fit sursauter le soldat à ses côtés. « Qu’est ce qu’il a dit? » demanda-il nerveusement, lançant un regard par-dessus son épaule. « Ils se rendent? ». Aaron ne pu retenir un sourire devant la naïveté du jeune homme. « Ils proposent un échange : une de nos recrues contre ce territoire » répondit-il, le regard toujours fixé dans le viseur de son arme. L’autre tremblait sous le stress et Aaron pouvait sentir le mouvement contre son épaule. Il hurla une insulte particulièrement imaginative en arabe avant de tourner la tête vers son compatriote. « Je leur ai dit que tu te proposais. Sois fort pour ton pays, fiston » déclara-t-il d’un ton sérieux en l’agrippant par l’épaule, avant qu’une tape particulièrement vicieuse sur son casque le fasse protester. « Arrête de martyriser la viande fraîche Maccallister » lui ordonna un de ses amis, James, non sans un sourire amusé. Aaron leva les yeux au ciel, haussant les épaules devant le regard trahi du jeune soldat. « Si on ne peut plus rire » murmura-t-il en appuyant une nouvelle fois sur la détente. « ETA? » continua-t-il plus sérieusement. « 5min, alors ne fait rien de stupide » répondit James en le fixant du regard. Aaron secoua la tête, un rictus aux lèvres. Soyez un peu trop téméraire ne serait-ce qu’une seule fois et on ne vous laissera jamais oublier! Son unité avait était prise par surprise, si bien qu’une fois les renforts arrivés, le conflit allait rapidement être terminé. Et en effet, exactement cinq minutes plus tard, trois jeeps arrivèrent, chargés de soldats américains et la chose fut bouclée en moins de deux. La routine.


Aaron posa une main sur son genou dans un vain effort pour maintenir le membre immobile. Le trajet lui semblait interminable et la cabine le rendait presque claustrophobe. Des pages vierges étaient étalés devant lui, prêtes à être couverte des pensées les plus profondes du jeune Maccallister, mais rien ne venait. L’excitation qu’Aaron ressentait à l’idée de revenir enfin à la maison le rendait semblable à un gosse qui se serait enfilé toute sa récolte d’Halloween d’une seule traite. Il pouvait encore sentir les grains de sables sous ses dents, entre ses orteils, un petit souvenir pour lui rappeler d’où il venait et où il pouvait vite repartir. Son congé était à durée indéterminée, et si Aaron préférait d’ordinaire des informations concrètes, il n’allait pas laisser cela gâcher son retour. Il avait tellement hâte de revoir sa famille. Ses parents, ses deux petites sœurs qui lui manquaient terriblement. Ses amis aussi. Il avait eu vent du retour d’Aiden, sous de plus tragiques circonstances que les siennes, et l’envie d’aller le voir, de lui parler, le démangeait. Dans ces moments là, il n’est que trop dur de se confier à des personnes qui, malgré toutes leurs bonnes intentions, n’ont aucune idée de quoi elles parlent. Aaron n’avait dû endurer que des blessures bénignes, et s’il arrivait à son cerveau de conjurer des bruits d’explosion où il n’y en avait pas, Aaron se considérait chanceux de revenir indemne d’Afghanistan. S’il ne pouvait pas comprendre à 100% les démons gardant son cousin éveillé à la nuit, il pouvait très bien les imaginer. L’annonce presque incompréhensible du pilote résonna comme du miel aux oreilles d’Aaron dès qu’il intercepta le mot "atterrissage". L’attente pour sortir de l’appareil et celle encore plus pénible aux bagages lui sembla interminable, et c’est presque au pas de course qu’il se dirigea vers les Arrivées. Il aperçu sa famille, des sourires aux lèvres et il sentit son visage se fendre en deux sous la force du sien. Si les lettres et rares coup de téléphones étaient toujours bons à recevoir, rien ne valait de les voir en personne. A l’écart, sans doute trop timide pour joindre les effusions de joie propre aux membres d’une même famille, se trouvait Olivia. Elle ne cachait pas non plus le plaisir de le voir, mais son expression restait différente. Comme si elle n’était pas sûre de quelle attitude adopter. Aaron lui, tenta de ne pas laisser d’émotions compromettantes apparaître sur son visage. Il était évidemment heureux de la voir, la promesse d’entendre son rire et de caresser sa peau accélérant un peu plus sa cadence, mais il ne pouvait se défaire de l’impression d’avoir une nouvelle fois abandonné une femme derrière lui.