Pasadena, c’était un peu comme au Texas : Les mois d’hiver étaient plus froids, mais jamais il ne neigeait. Enfin, peut-être que compte tenu des changements climatiques qui ne cessaient de bouleverser Dame Nature et ce qu’elle faisait du temps prévu, nous aurions un jour une grosse tempête nous obligeant à cesser toute activité pendant un jour, mais pour le moment, par ce soir de janvier, aucune neige à l’horizon, que de la pluie, beaucoup de pluie, trop de pluie. Bref, certainement pas un temps pour se promener à l’extérieur. Le plus triste dans tout cela, c’était que c’était ainsi depuis le début de la journée. Par un temps aussi maussade, pas moyen d’aller au parc avec Nora et Dylan, même s’ils avaient les meilleures bottes, le meilleur manteau et le meilleur chapeau du monde. Non seulement, ce serait limite dangereux pour glisser et tomber, mais de plus, c’était tout simplement désagréable. Par conséquent, avec les enfants, la journée s’était résumée à regarder des films, jouer à la poupée, à faire des formes dans la pâte à modeler, bref, tout ce qui peut se faire à l’extérieur quoi.  Puis, une fois mon service terminé, mon emploi du temps ne fut pas vraiment plus différent ; tout ce que j’avais l’intention de faire, c’était rentrer chez moi, me préparer à manger, peut-être appeler Jensen simplement pour entendre sa voix, l’entendre parler de sa journée, tout simplement, regarder la télévision, lire un peu et finalement aller dormir pour recommencer le lendemain, dans l’espoir que le temps serait un peu plus clément, évidemment.

Toutefois, pour respecter cette petite planification que j’avais en tête, il fallut, quand Lullaby et Aiden furent rentrés, que je sorte alors que la pluie tombait drue pour me rendre à ma petite maisonnette. Ce n’était que quelques mètres à parcourir dans le jardin et pourtant, je réussis à les transformer en un véritable enfer. Comment je fis mon compte ? En tentant de courir et en glissant dans l’herbe pour me planter en pleine figure. Heureusement, je ne me blessai pas, mais ce fut suffisant pour que je sois remplie de boue, de terre et d’eau, faisant sur mes vêtements un cocktail pas du tout ravissant. Un peu dégoûtée, très penaude, je rentrai donc dans ma demeure et sitôt, mon premier réflexe fut de retirer mes vêtements avant même de penser à me rendre à la salle de bains pour prendre une douche. J’étais seule chez moi, ce n’était certainement pas mon chat qui allait commencer à me reluquer – il m’avait vue me déshabiller plus d’une fois depuis que je l’avais recueilli – et je prenais pour acquis que personne ne passerait, même si je n’avais pas encore pris le temps de fermer les volets. Inutile de mentionner que je fus particulièrement perturbée quand je vis une silhouette passer sur le trottoir par la fenêtre de l’arrière de la petite maison. Par réflexe, je me couvris avec mon t-shirt que ne tenais entre mes mains, puis demeurant ainsi, je cherchai à m’approcher de la fenêtre pour voir qui pouvait se promener à une heure pareille, alors qu’il faisait sombre, et surtout si pluvieux que même un fan de Monster Truck ne voudrait pas aller dehors. Il y avait clairement quelque chose d’anormal, ou du moins, dans ma tête, ce n’était juste pas normal.

Espionner les gens n’était pas la plus sage des choses à faire, mais dans la situation présente, même si je tentais tant bien que mal de me convaincre que je ferais mieux de détourner mon regard de la fenêtre, puisque j’avais bien eu la preuve que le fait que je me change n’avait en rien influé sur le comportement de l’inconnu, puisque pour le peu que je pouvais voir à l’extérieur, compte tenu de l’orage, je me rendais compte que celui-ci me semblait totalement indifférent. Il ne regardait même pas en direction de chez moi, ne s’était même pas arrêté. Il marchait lentement, mais il n’avait pas cessé la cadence pour autant. Toutefois, quelque chose m’empêchait de détacher mon regard, comme si le simple fait de considérer cette personne seule m’aiderait à comprendre ce qu’elle pouvait faire dehors par un temps pareil. Était-elle perdue ? Était-ce un sans-abri qui avait trouvé une façon simple et écologique de prendre une douche ? Au bout de quelques instants, je me rendis compte qu’aucune explication logique ne me venait à l’esprit, si bien que je décidai de lâcher l’affaire, et continuer à faire ce que je voulais faire. Difficilement, je tournai donc les talons, tentant tant bien que mal de ne plus regarder à la fenêtre et retourner vaquer à mes occupations, prenant toutefois la peine cette fois-ci de ne pas me déshabiller ainsi exposée. Pour le coup, le plus logique pour moi était de me rendre directement dans la salle de bains. C’était exactement ce que je comptais faire, et je fus sur le point de le faire jusqu’au moment où j’entendis un bruit sourd contre la maison qui me fit grandement sursauter, à un tel point que je lâchai un petit cri et que Pumpkin courut se cacher je ne sais où. Sachant que pour le coup, je ne pouvais pas jouer l’indifférente. Rapidement, je renfilai mon t-shirt, pris le premier manteau que je pus, et je pris une lampe de poche, parce que vu la noirceur, je ne voulais pas prendre le risque de tomber sur quelque chose par accident. Maintenant parée, je ressortis à la pluie battante, et je commençai, légèrement nerveuse, à faire le tour de la maison, me rendant dans le coin où j’avais entendu le bruit. C’est là que je vis la silhouette, la même qui se promenait lentement, écrasée contre la maison, l’air absente, si bien que rapidement, je m’approchai, et sans réfléchir, je m’accroupis à sa hauteur, et je demandai :  « Mon Dieu, est-ce que vous allez bien !? » en me disant que c’était probablement une des seules choses que je pouvais faire en ce moment. Effectivement, tant et aussi longtemps que je ne savais pas ce qui se passait, si je pouvais aider la demoiselle ou non – parce qu’à la lumière de la lampe torche, j’avais vu qu’il s’agissait d’une femme, remarque que je n’avais pu faire précédemment – parce que pour le coup, autant dire que je craignais que ça n’aille pas pour elle, et je n’aimais pas vraiment voir les gens en détresse, surtout quand ils étaient seuls et sans aide. Après, si je ne pouvais pas aider, je ne pouvais pas faire grand-chose contre ça, mais si jamais c’était possible, alors pour sûr que je n’allais pas laisser passer l’occasion.

Mon instinct maternel avait tellement pris le dessus dans la situation présente que je n’avais même pas réfléchi au fait que j’étais peut-être de me mettre en danger. Dans ma tête, il était juste impossible qu’une personne qui marche dans ainsi dans la rue et s’affale sur le mur d’une maison puisse être un psychopathe. Il me semble que pour tuer quelqu’un, un meurtrier choisirait une plus belle journée, histoire que ses manigances prennent une tournure un peu plus glamour, non ? Et puis, ce serait bête qu’il se retrouve à l’hôpital après avoir attrapé une pneumonie, pour sûr il serait grillé. Quoiqu’il en soit, je ne pouvais pas voir quelqu’un sur le point de m’agresser. Tout ce que je voyais, c’était une jeune femme paumée, perdue, et le fait qu’elle ne fasse que me répondre que ça n’allait pas ne faisait que me le confirmer. Au début, je devais admettre que j’aurais bien voulu qu’elle me fournisse un peu plus de détails, qu’elle me dise ce qui n’allait vraiment pas, mais il fallut que je me résigne au fait qu’elle était tellement sous le choc qu’elle ne dirait pas quelque chose de plus. De ma propre initiative donc, je commençai à chercher des signes de blessure, à commencer au niveau de sa tête. Puis, je n’eus pas le temps de pousser mon examen improvisé plus longtemps; quand je la vis pleurer tout en serrant une peluche entre ses mains, je saisis que sa douleur n’était pas physique. De plus, elle ne saignait pas d’où que ce soit, alors dans ma tête, ça ne pouvait être que ça. Ce qui était évident aussi pour moi, c’était le fait que clairement, je ne pouvais pas la laisser ainsi. Je ne la connaissais pas, certes, mais qui était assez sans-coeur pour laisser quelqu’un recroquevillé sous la pluie comme ça ? Ma conscience à caractère un peu plus vache pourrait peut-être nommer certains noms, mais clairement, ce n’était pas le moment. De ce fait, sans poser plus de questions, je posai délicatement ma main sur le bras de l’inconnue, et je dis doucement, histoire de ne pas l’effrayer ou faire en sorte qu’elle pose un geste brusque:  « Venez, je vais vous emmener chez moi… » Puis, par mon propre geste, je l’invitai à se lever, histoire de me suivre à l’intérieur. Évidemment, pour cela, il fallait qu’elle accepte, et même s’il me semblait être une évidence qu’elle ne pouvait pas rester sous la pluie, pour elle, je n’étais pas sûre que ce soit aussi clair. Voilà pourquoi, tout en me redressant, je décidai d’ajouter:  « J’habite dans cette maison… Je vais vous donner de quoi vous réchauffer… » en sachant très bien que cela ne pourrait pas enrayer le mal qu’elle portait, peu importe de quel mal il s’agissait, mais qu’au moins, elle n’aurait pas le supporter en plus d’un terrible rhume, ce qui n’était jamais bien plaisant à avoir et ce, pour qui que ce soit et qu’importe la situation.

Dans un premier temps, la jeune femme sembla vouloir collaborer, et cela me soulagea quelque peu, parce que pour être franche, je ne savais pas ce que j’aurais pu faire. Bien sûr, je ne la connaissais pas, faisant en sorte que j’aurais très bien pu la laisser à son sort sans m’en occuper, mais quelque chose me disait que cela ne se faisait juste pas, que si je pouvais l’aider, alors je me devais de le faire, ou du moins, il fallait que j’essaie, un minimum, même si ce n’était que par une couverture et une tasse de thé. Et puis, je ne me voyais pas vraiment appeler la police alors que clairement, cette demoiselle n’allait pas bien, qu’elle n’avait rien d’une criminelle et qu’au fond, elle ne m’avait pas agressée de quelconque façon. Par conséquent, je me retrouvai un peu plus en contrôle de mes moyens et de la situation, mais à mon grand désarroi, cela ne dura pas longtemps. En effet, à peine la jeune femme avait-elle commencé à se lever que je me sentis lâcher prise sur elle. Tandis qu’elle se penchait pour visiblement reprendre cette peluche qu’elle tenait contre elle depuis que je l’avais trouvée, pour ma part, je perdis maladroitement pied et je menaçai pendant un instant de m’écraser sur elle. Heureusement, ma chute se déroula, si je pouvais le dire ainsi, au ralentir, faisant en sorte que j’eus tout juste le temps de la réorienter un peu à côté, me valant de dégringoler dans une flaque de boue. L’essentiel étant que je ne m’étais pas blessée pendant la chute, je ne me posai pas davantage de questions avant de me redresser, et finalement regarder la blonde qui se trouvait devant moi, me rendant compte que son état était encore plus alarmant et triste que je ne l’aurais cru. Impuissante, je la regardai, recroquevillée sur le sol, à supplier cette peluche de revenir alors qu’elle l’avait entre les mains. Dans un premier temps, ce spectacle semblait dénué de sens, mais rapidement, je me rendis compte qu’elle me faisait penser à quelqu’un qui avait vécu la même situation; moi-même. Pendant un instant, j’eus un semblant de déjà-vu, et je me revis, en position foetale sur le plancher de ma maison au Texas, à pleurer la mort de ma fille qui n’avait jamais vu le jour. À cette idée, mes yeux s’embuèrent de larmes, mais personne ne le vit à cause de la pluie. Cette femme avait-elle perdu un enfant ? Tout me portait à croire que c’était le cas, mais je n’osais pas le demander, c’était beaucoup trop délicat, beaucoup trop difficile à prononcer. Parce que moi, j’avais été toute seule lors que c’était arrivé, je ne sus pas trop comment réagir dans un premier temps, mais au final, je décidai que je ferais mieux de m’en tenir au plus simple. J’ignorais comment cela allait tourner, mais je tentai malgré tout de m’approcher d’elle, mais plutôt que de l’obliger à faire quoi que ce soit, poser ma main sur son avant-bras, dans un geste que je voulais réconfortant, avant de lui dire, sans trop comprendre pourquoi:  « Je suis désolée… » J’allais très certainement gagner le prix de la pire personne réconfortante au monde, mais j’étais la première à savoir qu’il y avait peu de choses à dire dans ce genre de situation. Enfin, si c’était la situation à laquelle je pensais, bien évidemment.

Lorsque j’avais dit à la jeune femme que j’étais désolée alors que je ne connaissais pas sa situation, bien loin de là, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre, je ne savais pas ce que ça pourrait donner. Je me disais même que cela ne changerait rien, que limite c’était une insulte devant son désespoir on ne peut plus évident. Mais pourtant, j’espérais quand même que ça change quelque chose, ne serait-ce qu’un peu. Au final, je fus exaucée, à mon plus grand étonnement; la blonde sembla légèrement se calmer, puis progressivement sortir de sa torpeur. Enfin, je ne disais pas qu’elle avait complètement retrouver ses sens et que nous pourrions commencer à parler chouchous et chiffons assises ainsi, sous la pluie, mais bon, cela avait été suffisant pour me rassurer quelque peu, et me permettre de relâcher mon emprise sur elle lorsqu’elle leva la main, histoire de lui donner un peu plus d’espace. Après tout, malgré la situation étrange, je ne la connaissais pas, et je savais que ce n’était pas nécessairement poli de toucher les gens sans leur consentement, même si dans le cas présent, je n’avais pas vraiment su faire autrement. L’essentiel maintenant était que les choses se soient quelque peu calmées, à un tel point que soudainement, la demoiselle sembla avoir retrouvé le sens de la parole pour me dire que je ne devais pas rester sous la pluie pour elle. Pour le coup, je ne sus pas vraiment comment réagir; voilà quelques instants de cela, je lui proposais de rentrer pour se réchauffer, mais j’avais l’impression que soit c’était passé dans le vide, soit elle n’avait pas compris, tout simplement. Ne sachant que dire dans un premier temps, je choisis d’en rester au plus simple et de lui affirmer tout en douceur:  « Je ne peux pas vous laisser sous la pluie comme ça… » Ça limite, c’était une évidence; il serait limite inhumain de ma part de la laisser dehors tandis que j’étais bien au chaud, une couverture sur les épaules et une tasse de thé à la main. Au final, je décidai de la laisser reconsidérer mon offre en lui proposant:  « J’ai des couvertures et je peux faire du thé… » en me disant que si jamais elle préférait le chocolat chaud, ou l’eau chaude, ou le café, je pouvais en faire aussi, mais bon, c’était une proposition comme ça. Cependant, comme si je sentais que ce ne serait pas suffisant pour la faire bouger, parce qu’elle semblait clouée au sol par la présence de cette peluche, ce qui me poussa à dire, sans trop réfléchir:  « Vous pouvez l’apporter, ça ne me dérange pas… » en me rendant compte que c’était un peu stupide, mais tout dans cette situation me laissait hors de contrôle de mes moyens, alors je tentais tout ce que je trouvais pour rétablir les choses aussi bien que possible.