Parker était à Pasadena. Il n’était plus en prison, il n’était plus au Texas, il n’avait pas quitté le pays. Il était dans cette petite ville où j’avais élu domicile et nulle part ailleurs. Comment je le savais ? Parce que je l’avais appris de la pire façon qui soit; en le revoyant. Non pas entourée de deux ou trois policiers parce qu’il fallait régler des trucs par rapport à notre divorce qui avait eu lieu six ans auparavant. Dans un parc, totalement au hasard, et qui plus est, tandis que je me promenais avec Nora. Pourquoi fallait-il que ça arrive ? Pourquoi à moi ? Pourquoi à cet instant précis de ma vie où je recommençais tout juste à me reprendre en main, où je sentais que pour la première fois depuis presque dix ans, je pourrais faire quelque chose de bien, je pourrais me sentir bien et épanouie dans ce que je faisais ? Franchement, je n’avais réponse à aucune de ces questions, et c’était probablement cela qui me faisait le plus angoisser en ce moment, avec cette peur insurmontable que j’avais à l’idée qu’il m’approche, qu’il me fasse du mal à nouveau, ou que pire encore, qu’il fasse du mal à ceux à qui je m’étais attachée pendant cette dernière année, que je ne sentais même plus en sécurité, et surtout envers qui je me sentais coupable de cette situation qui me faisait carrément paniquer.

En fait, c’était à un tel point que ma peur était devenue irrationnelle et que maintenant, lorsque je ne devais pas m’occuper des enfants, je ne faisais plus quoi que ce soit d’autre, me contentant de rester cloîtrée dans ma petite maison. Je ne sortais même plus pour aller faire les courses, sauf quand quelqu’un d’autre m’accompagnait et ça, ça ne comptait pas les fois où je demandais tout bêtement à Lullaby ou Aiden de me rapporter un article ou deux, faute d’avoir le courage d’aller les chercher moi-même. Et plus encore, quand j’étais enfermée dans ma petite demeure, tout ce que je trouvais à faire, c’était me ronger les sangs, ou bien tenter de réfléchir à quelque chose qui pourrait me détendre. Aujourd’hui, puisque je n’étais pas de service dans la demeure O’Brady-Jones – MacCallister, j’avais décidé que probablement pour la troisième fois en quelques jours, je ferais le ménage de fond en comble de la petite demeure qui, pourtant, n’était pas sale; je venais d’y emménager, tout sentait le neuf, et pourtant, je trouvais quand même des excuses très mauvaises pour continuer à astiquer le tout. Cependant, cette activité, à laquelle je prenais presque plaisir à m’adonner, contrairement à la grande majorité des gens, ne fut pas assez pour que je sois complètement calme au moment où j’entendis frapper à la porte de mon petit cottage. Pire encore, je me surpris à sursauter vivement, lâchant par la même occasion le chiffon que je tenais entre les mains. Et le comble, ce fut que je n’osai même pas m’approcher de la porte, préférant de façon ridicule dire assez fort pour qu’on m’entende : « Qui est-ce !? » avant d’oser ne serait-ce que regarder à la fenêtre.

Je ne sus me détendre seulement lorsque j’entendis une voix surgir de l’autre côté de la porte, mais plus exactement lorsque cette voix prononça son prénom. Non pas seulement lorsque j’entendis une voix qui ne ressemblait pas à Parker; quand j’entendis que j’avais affaire à Kennedy. C’était peut-être un détail particulièrement subtil, mais il changeait absolument tout dans ma tête. Premièrement, cela me montrait que je n’aurais pas pu me contenter d’un simple « c’est moi » alors que pour de nombreuses gens, c’était plus que suffisant, mais de plus, cela me montrait que j’étais encore plus nerveuse que j’aurais pu le croire. C’était à un tel point que lorsque je sus à qui j’avais affaire, je pris le chiffon que j’avais laissé tomber par terre dans ma réaction de surprise, la déposai sur le plan de travail de la cuisine qui était sur le chemin vers la porte, et lorsque j’arrivai à l’entrée, je jetai discrètement un coup d’œil par la fenêtre pour confirmer l’identité de mon visiteur, et lorsque j’en fus certaine et que je me sentis assez à l’aise pour ouvrir, je déverrouillai la serrure – ce que je n’avais jamais besoin de faire en plein jour, puisque sauf si je n’étais pas chez moi, je ne la verrouillais jamais – et j’ouvris finalement la porte, servant un sourire timide à Kennedy ainsi qu’un maigre : « Hey… Ça va et toi ? », sachant parfaitement que ce que je venais de lui répondre ne concordait pas du tout avec ce que je dégageais actuellement. Effectivement, si physiquement, je n’étais pas blessée, je n’étais pas malade, il n’en demeurait pas moins que je ressemblais à rien d’autre qu’une catastrophe ambulante, je le savais bien. Alors que normalement, je m’assurais toujours pour être relativement présentable, mais là, je n’avais rien de présentable, à un tel point que je me doutais bien que je me ferais jeter dehors du supermarché, ou presque. Comme si je venais de me rendre compte de ce fait, je baissai la tête en essayant de replacer un peu mon t-shirt, marmonnant un timide : « Pardon… Je faisais du ménage. », lâchant un rire nerveux malgré moi, puisque je savais clairement que cela ne pouvait pas tout excuser. En effet, j’étais la première à savoir qu’il y avait moyen d’être un peu plus présentable même en faisant du ménage, surtout que me concernant, ce n’était plus du ménage, mais une simple obsession pour ne pas être dans mes pensées trop longtemps. Et là, si jamais je continuais à me considérer de la sorte, je risquais très bien d’y retourner. Secouant la tête rapidement, je cherchai alors à me ressaisir en me décalant de la porte et affirmant : « Je suis malpolie, désolée… Rentre, ne reste pas dehors. » en essayant de prendre un air un peu plus assuré, même si malgré moi, je regardai par-dessus l’épaule du jeune homme pour voir s’il n’y avait personne d’autre, ce qui me rendait probablement plus ridicule que jamais.

« Non, tout va bien, pourquoi ça n’irait pas ? » fut ce que je répondis à Kennedy quand celui-ci me demanda de lui confirmer que j’allais bien. Cependant, puisque j’étais une très mauvaise menteuse, surtout quand j’étais nerveuse et effrayée comme en ce moment, je compris que mon ton de voix et l’expression faciale que j’abordais allaient finir par me trahir à un moment ou un autre. Face à cette situation, deux options s’offraient à moi : Soit j’admettais la vérité et j’avouais à Kennedy que je n’allais pas pour le mieux, mais puisque cela impliquerait que je lui explique ce qui me rendait si tendue, ce qui me poussait à rester chez moi tant et aussi longtemps que je n’étais pas obligée de passer la porte, j’oubliai cette idée, me tournant aussitôt vers la seconde, à savoir de tenter de me calmer, garder ma contenance, et agir le plus naturellement possible, ou du moins, tenter de corriger la situation pour éviter que Kennedy s’en fasse trop longtemps pour moi. Mais pour ça, il faudrait que je fasse des efforts, à commencer par tenter de le rassurer en lui disant : « Pas du tout ! Ça me fait plaisir de te voir ! », tentant de le lui prouver – et le prouver à moi-même surtout - en réitérant et en le proposant d’entrer dans la demeure. Cependant, sitôt l’invitation lancée, mes mauvais réflexes reprirent le dessus, et je ne pus m’empêcher de regarder s’il y avait quelqu’un d’autre dans le jardin. Je pensais avoir été discrète en effectuant ce geste, mais visiblement, la subtilité, ce n’était clairement pas fait pour moi, puisque Kennedy ne tarda pas à suivre mon regard, demandant directement si quelque chose n’allait pas. Il ne m’avait pas demandé ce que je regardais, certes, mais j’avais quand même réussi à faire le lien, d’où le fait que je fermai la porte, comme pour feindre que j’avais simplement regardé si le facteur était passé, quelque chose du genre, mais je n’eus pas le courage de dire quoi que ce soit, me sentant déjà mal de sentir à mon ami, même si je sentais au fond de moi que je n’avais pas le choix. À la place, je l’invitai à prendre place sur un des fauteuils de ce qui était le coin salon de ma petite maisonnette, puis je lui proposai : « Je peux t’offrir quelque chose à boire ? »

Au moment où Kennedy me dit que c’était à moi de lui expliquer pourquoi cela n’irait pas, je lui fis probablement la pire réponse au monde, c’est-à-dire que je me contentais de hausser les épaules comme un adolescent qui ne veut pas parler à ses parents. En fait, j’agissais ainsi non pas parce que j’avais la mentalité d’une enfant de quinze ans ma cadette, mais plutôt parce que je ne savais pas ce que je pourrais faire ou dire. Résultat, je m’étais convaincue que c’était la meilleure réponse que je pouvais fournir pour le moment si je voulais en dire le moins possible sur ma condition actuelle. Et ça, ce n’était pas parce que je ne voulais pas le faire. En effet, si je ne m’écoutais que moi, je lui aurais tout de suite dit que j’avais regardé derrière son épaule parce que je ne voulais pas voir mon ex-mari débarquer derrière lui, que je restais enfermée de crainte de le revoir, parce que je connaissais maintenant le risque de le croiser dans cette ville. Il s’était installé ici, à présent, et je n’avais rien pu faire, et je ne voulais pas partir, ce qui signifiait qu’à un moment où un autre, il faudrait que j’apprenne à vivre avec, mais ça, c’était encore très loin dans ma tête. Dans l’immédiat, tout c’à quoi je pensais, c’était comment je ferais pour passer au travers de cette discussion avec Kennedy, parce que je ne pouvais pas le rejeter, tout simplement. Il ne m’avait rien fait, et plus encore, il faisait partie de ceux auxquels je tenais, qui m’avaient permis, indirectement, de refaire ma vie à neuf, même si en ce moment, cette simple idée était devenue complètement caduc. Heureusement, j’eus l’occasion de tenter de trouver une solution à tout cela lorsque Kennedy me demanda de boire un truc frais. En effet, je pus me permettre de lui faire dos un instant, le temps de fouiller dans le frigo afin de pouvoir lui proposer : « Limonade maison, ça te va ? » et plus encore, d’esquisser un sourire presqu’amusé en repensant que ces derniers jours avaient eu quand même quelque chose de bénéfique, outre le fait que ma maison était si propre qu’on pourrait manger par terre; j’avais appris à faire de la limonade maison qui, somme toute, était une expérience plutôt relaxante. Qui aurait cru que presser des citrons pouvait faire autant de bien ? Certainement pas moi, jusqu’à ces derniers jours, en fait. Une fois que j’obtins la réponse de Kennedy, je m’affairai à le servir, sans toutefois complètement me couper de la discussion. Après tout, j’étais une femme; je pouvais très bien faire deux choses en même temps. C’est toujours dans la cuisine que je lui répondis : « Hum, et bien… Rien de particulier… » et c’était tant mieux d’ailleurs, parce que cela me permettait de cacher encore un peu comment j’étais mal à l’aise. Ce fut la même chose lorsque je lui dis : « Et le boulot, ça va… », mais sachant que je ne pourrais pas rester derrière le plan de travail éternellement, je le contournai, puis je me rendis là où se trouvait le jeune homme, pile au même moment où il s’excusa de son comportement précédent. À cela, je dis « Oh c’est pas grave, c’est… » Je m’interrompis un bref moment, histoire de chercher mes mots, puis je terminai : « En fait, c’est plutôt moi qui devrais m’excuser de t’avoir accueillie de la sorte. », m’efforçant de lui faire un sourire triste en coin, sachant pertinemment que je venais de sous-entendre que je n’étais pas totalement dans mon état normal. Visiblement, j’étais incapable de faire comme si c’était le cas, mais après, comment je pourrais l’expliquer, ça, je n’en avais absolument aucune idée.

Mon sourire se transforma en une grimace discrète au moment où Kennedy me dit qu’il n’allait pas me forcer à parler, me laissant soudainement dans un énorme dilemme. Devrais-je en parler à quelqu’un, ou me taire et me renfermer comme je le faisais depuis maintenant quelques jours ? Depuis que j’avais revu mon ex-mari, la seconde option me paraissait la plus plausible, comme si elle était la plus sûre, comme si j’avais l’impression que si jamais quelqu’un était au courant, il pourrait être en danger, ou je pourrais en subir des représailles comme c’était déjà arrivé dans le passé. Enfin, jamais personne n’avait subi la colère de Parker autre que moi, mais quand même. En quelque temps, j’étais devenue si tendue, si paranoïaque, que je ne savais pas ce qui était sain, ce qui ne l’était pas. Peut-être était-ce pour cela qui vaudrait mieux en parler à quelqu’un, mais trouverais-je le courage de le faire ? À cette question personnelle, je considérai de nouveau Kennedy, commençant à songer à cette éventualité. Il était vrai que nous n’étions pas nécessairement les plus proches qui soit, mais il n’en demeurait pas moins que je m’entendais plutôt bien avec lui, puisque si cela n’avait pas été le cas, jamais je ne l’aurais laissé pénétrer dans ma demeure, surtout pas dans l’état dans lequel j’étais actuellement. Toutefois, voulait-il vraiment entendre mes problèmes, ces histoires que je n’étais même pas certaine de savoir raconter jusqu’au bout ? Persuadée que non, je décidai de laisser tomber l’idée, réfléchissant aussitôt à ce que je pourrais lui dire, lui demander pour changer de sujet. Cependant, avant que je ne trouve quoi que ce soit, le jeune homme prit ma main, ayant pour effet de me faire sursauter. Heureusement, je me détendis rapidement lorsque je compris que son contact se voulait essentiellement amical et que je n’avais pas à le craindre. Plus encore, je me sentis beaucoup moins tendue que je ne l’avais été ces derniers jours, ravie de voir qu’il semblait vouloir être présent pour moi. Mine de rien, cela me faisait chaud au cœur, si bien que je lui dis un sourire et que je lui dis : « Merci Kennedy, c’est gentil. » En revanche, puisque ce simple propos ne venait pas régler mon problème, je poussai un petit soupir, n’ayant clairement pas pris ma décision sur ce que je pourrais dire, ou faire. D’un côté, j’aimerais en parler, je ne le nierai pas, mais en même temps, serais-je en mesure de tout raconter, alors que je n’avais jamais rien dit à qui que ce soit ? Peu certaine de ce fait, je m’en sentis honteuse, si bien que je baissai la tête un instant, me disant que je devais clairement me décider, puisque sinon, je n’aurais certainement pas fini de tourner autour du pot. Finalement, je choisis de simplement demander : « En fait… Ça t’est déjà arrivé d’avoir… Peur de quelqu’un ? » Ma question était vague, très vague, et j’en étais parfaitement consciente. Après tout, le « quelqu’un » pourrait très bien être le Père Noël ou la Fée des Dents, alors que ce n’était pas du tout ce dont je voulais parler. En ressentant le besoin, je choisis de préciser quelque peu en affirmant : « Enfin, quelqu’un que tu ne voulais pas revoir, mais qui… revient dans le décor ? » Puis, sentant que je m’enfonçais au fur et à mesure que je parlais, je finis par pincer les lèvres, et attendre une réponse de mon ami, si une réponse était possible à ce genre de question, bien évidemment.