Cinq mois. Cinq mois, que je portais cette crevette en moi. Cinq mois. J’avais beau me le répéter sans arrêt, rien à faire je n’arrivais toujours pas à y croire. Pour l’instant, tout ce que je savais c’était que j’attendais un garçon. Son prénom restait un mystère, mais au moins la grossesse se passait bien. Rien d’anormal. Les crises d’hormones s’étaient assagies, même s’il m’arrivait d’en avoir, chose épouvantable. Je devenais une véritable furie, au point que j’avais agressée ma cousine pour un hors d’œuvre au canard. Mais en général, j’étais calme et l’évolution de mon ventre était progressive. J’avais de plus en plus de mal à le cacher, pourtant je faisais de mon mieux. Depuis deux semaines, j’avais pris un arrangement avec mon patron du country club. J’étais obligé de faire un arrêt de travail pour ma sécurité selon lui. Trop debout n’était pas conseillé, mais ayant besoin de ce travail, j’avais pu avoir un horaire de six heures pour la semaine. Ce n’était pas top, mais au moins j’avais ainsi un peu d’argent. J’avais droit de faire trois heures un jour ou tout dans la même journée. Aujourd’hui, c’était une journée complète. Je m’étais fait un smoothie en chantonnant au petit matin, un mélange fraise et kiwi. Pas ma faute, le kiwi m’avait fait de l’œil sur mon comptoir et il m’avait donné envie de lui. Il avait gagné face à la pauvre banane noircie près de lui. J’avais pris un petit sac rempli de graine de café enrobé de chocolat. Un petit pêché mignon qui s’était développé avec la grossesse, moi qui déteste le chocolat ! J’avais tressé ma frange, gardé mes lunettes de vue vu que mes lentilles m’héritaient les yeux. En tenue de travail, j’avais embrassé la joue de Christian alors qu’il se levait échevelé et encore endormi. Je lui souhaitais une bonne journée, même s’il était presque dix heures. Heure à laquelle je commençais. Depuis que j’avais dit à Noah pour ma grossesse, je me sentais plus légère, j’arborais même un sourire. J’avais troqué cet air d’asociale pour quelque chose de plus chaleureux. Finalement, je m’étais fait à l’idée d’avoir un enfant, même si je n’y croyais toujours pas. Je voulais apprendre à connaître cet être en moi. Chaque soir, je lui lisais une histoire et ses coups s’apaisaient, parfois je lui chantais même des berceuses. J’arrivais au travail à l’heure, passant par le vestiaire avant de me diriger vers la salle à manger. Je voyais alors Jessica, elle me souriait et se tenait devant un garçon que je ne connaissais pas vraiment. J’avais croisé son chemin sans plus. « Bonjour. » Excité comme une puce, Jessica salua mon ventre avant de me parler. Je riais, ce qui était rare surtout au travail. « Coucou, mais je dois y aller ma pause est fini. » Elle me laissa donc en plan avec le garçon. « Carter. » Les formalités ce n’étaient pas pour moi. « Oui, je sais qui tu es. » Je ne cachais pas mon étonnement. « Ah ! Et tu es ? » Je voyais aussitôt son embarras de ne pas s’être présenter, ce qui me fit rire. « Jasper. » Je lui souriais. C’était étrange, je le sentais mal à l’aise et pourtant, je n’avais rien fait. Ses joues roses étaient néanmoins mignonnes. Je devenais folle à penser ainsi, mais bien que je fusse moins violente j’avais aussi d’autre pulsion qui se déclenchait en moi. Je voyais du coin de l’œil Declan, toute souriante je laissais le jeune serveur et me dirigeais vers l’homme avec qui j’étais toujours marié. Voilà quelque chose qui me laissais perplexe, après tout ce temps, je ne savais pas quoi en penser. Shevonne m’avait aidé pour chercher une procédure de divorce, mais j’étais de moins en moins certaine. J’ignorais ce que lui en pensait, mais aborder le sujet me semblait inutile pour le moment. Peut-être que j’avais simplement peur de sa réponse. « Coucou. » Mon sourire s’élargit aussitôt, voilà une des raisons de mon hésitation, devant lui maintenant je suis plus douce et beaucoup plus ouverte. Je n’ai réalisé ce changement que depuis peu, mais il est bel et bien là. « Ça ne va pas ? » Je le regardais et étrangement il ne semblait pas dans son assiette. Je mettais ma main sur mon front et l’autre sur le sien. « Tu ne sembles pas faire de fièvre pourtant. » Je retirais mes mains, inclinant la tête sur le côté en fronçant les sourcils. S’il était malade peut-être devrait-il rentrer chez lui. Pourtant, je ne voulais pas le voir partir, on se voyait si peu souvent.

Cela faisait déjà plusieurs mois que Declan avait incarné le protagoniste niais de base d’une comédie romantique et avait convaincu Carter de ne pas avorter de leur enfant. Il était indéniable que leur relation avait évolué. En quoi, il n’aurait su le dire. Juste quelque chose de plus harmonieux et de moins hostile. Declan tentait de se montrer disponible, accompagnant Carter lors des échographies et l’assistant au mieux de ses capacités. L’ensemble demeurait tout de même quelque peu maladroit, chacun ne sachant pas trop où se placer. Aujourd’hui était un jour de travail comme un autre et c’est derrière le bar que Declan se trouvait, à essuyer des verres et les ranger. Autant dire qu’il n’était pas au comble de l’extase. Il aurait été presque impossible pour lui de manquer l’entrée de Carter dans la pièce. Son regard azur suivi sa progression, s’attardant naturellement sur la courbe de son ventre avant de remonter vers son visage. Il détourna le regard lorsqu’elle engagea la conversation avec Jessica, ne souhaitant pas se faire remarquer si elles venaient à parler de lui et le regarder. Mais Declan ne pu s’empêcher de relever les yeux sur Carter quelques instants après lorsque son rire tinta dans l’air. Malgré lui, il fronçait les sourcils. Il n’y avait décemment aucun aspect de ce job qui méritait une quelconque effusion d’hilarité, et ce n’est pas non plus Jessica qui avait été bénie du don de l’humour à la naissance. Ok, il n’en savait honnêtement rien puisque converser avec ses collègues n’était pas trop son fort, mais pour une raison quelconque, il avait l’étrange impulsion de dire à Carter de se mettre au boulot, ou du moins d’arrêter de se taper la causette avec le premier venu. Comme ce mec là. Declan n’avait aucune idée de qui il était. Sans un doute un nouvel employé. Il faut dire que dans ce métier ingrat, les aller et venus n’étaient pas rares. C’est d’ailleurs pourquoi Declan ne faisait pas d’effort particulier pour nouer des relations avec ces personnes. Il se força à soulager sa prise lorsqu’il réalisa que son essuyage de verre avait pris une tournure un peu brutale, le verre grinçant de détresse sous ses doigts. Sa tâche étant d’une simplicité affligeante et le club étant peu animé, Declan n’avait décemment rien d’autre à faire que de s’attarder sur le tableau devant ses yeux. Un soupir, presque de dégoût, s’échappa de ses lèvres lorsqu’il aperçu le rouge monter aux joues du jeune homme et Carter rire en réponse. C’était affligeant. Il ne manquait plus qu’une musique d’ambiance et des yeux en cœur à la tex avery pour annoncer encore plus clairement l’intérêt du jeune homme. Une vague d’antipathie secoua Declan. Pour qui se prenait-il ce mec, à draguer une femme enceinte et mariée ?! La vivacité de cette réflexion étonna presque le jeune Gardner, de même que l’élan de possessivité à l’égard de Carter qu’il ressentait soudainement. L’envie de s’interposer entre les deux et de se prostré en mâle dominant était tout aussi ridicule qu’attirante. Mais Declan n’aimait pas du genre violent et avait-il vraiment une légitimité là-dedans ? Oui Carter et lui étaient mariés, mais ils n’étaient pas vraiment ensemble, n’est-ce-pas ? Declan préférait de pas trop s’attarder sur le fait qu’il n’y avait aucun divorce de panifié à l’horizon. Pour sa part, c’est la fainéantise et la certitude que de toute manière il n’y avait pas de prétendante à sa porte, qui confinait Declan dans cette situation particulière d’homme marié par erreur. Mais Carter. Carter qui du jour au lendemain pouvait décider qu’elle souhaitait faire sa vie avec le prochain Roméo qui viendrait l’aborder. Pourquoi n’avait-elle pas fait les démarches ? Avait-elle peut qu’il se dégage de toute responsabilité envers elle et le bébé s’ils n’étaient plus liés par les liens du mariage ? C’était idiot. Declan rangea une série de verre sous le bar, s’autorisant un moment de répit tandis que le comptoir obstruait la petite danse de séduction embarrassante qui se déroulait un peu plus loin. Carter souriait toujours à l’inconnu quand Declan refit surface, et le jeune serveur pouvait sentir la moue agacée qui s’était dessinée sur son visage. Et dire que ça aurait pu être n’importe qui d’autre cette fameuse nuit à Vegas. C’est avec Monsieur Charmant ici présent qu’elle aurait pu abuser de l’alcool et épouser en toute ignorance le soir même. C’est lui qui aurait une progéniture en devenir et une vie chamboulée. Cette perspective lui retournait presque l’estomac, et c’est la mâchoire serrée et les yeux vides que Declan retourna à sa tâche. Il ne remarqua pas Carter se détacher de son interlocuteur et s’approcher de lui, jusqu’à ce qu’elle s’exprime. « Hey » répondit-il, tendu. La demoiselle semblait rayonner et Declan n’arrivait pas à digérer le fait que c’est l’autre homme qui l’avait mis dans cette bonne humeur. Declan ne daigna même pas répondre lorsque Carter lui demanda comment il allait. De quelle manière diplomate pouvait-il dire qu’il se portait plutôt bien jusqu’à ce qu’elle flirte ouvertement avec son nouvel ami ?! Même lui ne pouvait expliquer ce virement de situation….non il le pouvait, c’est juste qu’il ne souhaitait pas du tout s’y attarder. Une seconde plus tard, la paume de Carter se posait sur son front et Declan ne pu retenir le sourire qui naissait au coin de ses lèvres. « J’suis pas malade » dit-il, mi-amusé mi-irrité. « Je prendrais pas le risque » ajouta-t-il à mi-voix dans un réflexe, ne réalisant qu’après ce qu’il disait réellement. S’il était malade, il ne prendrait pas le risque de venir au travail et de contaminer Carter à son tour. Un petit rhume n’était sans doute rien comparé au fait de créer un être humain de toute pièce dans son ventre, mais tout de même. « C’est qui ton nouvel ami ? » enchaina-t-il pour divertir l’attention, et réussissant mal à cacher l’amertume dans sa voix.

Un petit ventre rond et pourtant je me sentais comme une baleine, mais d’un côté plus positif, j’arrivais assez bien à le cacher. Quelque chose de ample et voilà le petit bedon se retrouvait aussi discret que possible. Ainsi au moins, j’arrivais à le cacher à ma famille. Je ne pouvais pas non plus les éviter pendant encore toute le reste de ma grossesse. Neuf mois, c’est plutôt long. J’arrivais aussi à dealer avec mon emploi du temps et ça j’en étais fière. Même si je ne travaillais plus autant, je m’arrangeais pour suivre des cours prénataux, du yoga pour femme enceinte et je m’amusais à regarder les chaînes télévisées de cuisine, essayant de reproduire les recettes. En fait, je me retrouvais à gaver Christian comme une oie. Aujourd’hui c’était différent, pas de cours, seulement six heures de travail. Intérieurement, je commençais à me demander comment j’allais y arriver après l’accouchement. M’occuper d’un loyer, les factures, l’épicerie et cela avec un bébé naissant et j’ignorais si je pourrais retourner travailler. Je tentais tout de même de ne pas y penser, sinon c’était la crise d’angoisse assurée. J’arrivais au country club et aussitôt Jessica m’interpellait, je ne pouvais pas faire autrement que d’aller voir la rouquine qui discutait. Elle ne restait pas longtemps et c’est avec un serveur inconnu que je me retrouvais. La discussion ne fut pas de longue durée, voyant du coin de l’œil Declan travaillant au bar, je me décidais à le retrouver avant de commencer mon shift de travail. Dire que tout allait pour le mieux entre nous serait sans doute un mensonge, mais au moins il ne passait plus le plus clair de son temps à m’envoyer boulé ou passer ses nerfs sur moi. À moins, bien entendu que j’use de ma maladresse incurable. Une autre chose avait changé, le sourire que j’arborais près de lui, j’aurais pu me battre pour essayer de le faire disparaître, mais c’était plus fort que moi. Le coin de mes lèvres se retroussait sans que je leur donne mon avis. Je m’enquérais de son humeur et bien vite, je laissais ce côté maternel prendre le dessus. Sans qu’il dise quelque chose, j’avais cette impression qu’il n’avait pas la forme. Malade ? Je ne savais pas trop, mais j’allais tout de même vérifier. « Si tu le dis. », répondais-je avec un petit sourire. Bien qu’il affichait lui aussi un sourire, j’étais ravie de me dire que finalement ce n’était peut-être rien. Le risque ? Je devais bien admettre que je ne comprenais pas ce qu’il tentait de me dire ou de se dire. Parlait-il pour lui-même ? Là encore, je l’ignorais. Je glissais une mèche de mes cheveux rebelle derrière mon oreille. Nouvel ami ? Je fronçais mes sourcils en le regardant. De qui parlait-il ? Je ne savais pas trop quoi dire. « Euh… De qui parles-tu ? », ma voix trahissait mon étonnement. Une voix résonnait dans la salle et je tournais la tête vers Jessica qui s’adressait à ce garçon que j’avais rencontré quelque instant plus tôt. « Jasper ? Ce n’est pas mon ami. C’est seulement un nouveau serveur. », disais-je finalement en reportant mon regard vers le père de mon enfant. « Tu ne serais pas jaloux ? », continuais-je en le taquinant. Bien entendu, l’idée même qu’il soit jaloux ne me semblait pas possible, mais l’envie de le taquiner était néanmoins présente en moi. Passant mes bras par-dessus le bar, je prenais ses mains qui continuaient à essuyer un verre. « Je crois qu’il est propre et sèche. » Un petit rire amuser s’échappait de mes lèvres, alors que je levais mon regard vers lui. Un crac se fit entendre. Je perdais pied me retrouvant bien vite sur le popotin tout en criant aigument, réalisant que le talon de l’une de mes chaussures venait de se briser. « Merde. », soufflais-je en regardant mon escarpin en piteuse état. Le talon était brisé, mais la semelle avait aussi décollé. Assise par terre, je poussais un soupire, dans le genre théâtral y’a pas pire. Je retirais l’escarpin qui avait rendu l’âme le regardant avec une petite moue.

Declan n’avait jamais été très à l’aise à proximité des gens. Très conscient de son espace personnel, il n’aimait guère qu’on le franchisse et que l’on s’y attarde trop souvent. Hors situation où la proximité est requise, bien évidemment, mais le fait est que Declan n’appréciait guère que l’on s’attarde près de lui sous prétexte d’une conversation banale pour passer le temps. Ce qui expliquait aussi son interaction minimale avec ses collègues. Carter en avait fait partie, si bien qu’il était étrange de remarquer à quel point Declan était devenu confortable aux côtés de la demoiselle. Sa présence ne l’irritait plus. La main qu’elle avait posé sur son front ne lui avait pas donné envie de reculer sa tête dans un réflexe et d’échapper à son toucher. Son corps penché en avant vers lui par-dessus le bar ne le poussait pas non plus à rétablir une certaine distance. Pire, il cherchait presque à la rencontrer à mi-chemin, penchant également son torse légèrement vers elle bien qu’ils étaient déjà assez proches pour s’entendre dans le club calme. C’était à attendre bien évidemment, à force de passer du temps ensemble, mais cela faisait tout de même tiquer Declan lorsqu’il prenait quelques secondes pour y penser. Carter ne persista pas dans son assurance qu’il n’était pas dans son assiette, et Declan suivit ses doigts du regard lorsqu’ils replacèrent une mèche rebelle derrière l’oreille de Carter. Declan reporta son regard sur son visage lorsque cette dernière fit mine de ne pas comprendre son allusion. Declan dû se retenir de ne pas renvoyer un acide « bien sûr tu sais de qui je parle », préférant diffuser son irritation dans sa tâche, le torchon couinant sur la surface lisse du verre. Declan ne comprenait pas pourquoi elle jouait l’idiote. Cherchait-elle à cacher quelque chose ? Ce mec était-ce plus qu’un ami ? Mais avant que la paranoïa ne l’engloutisse, Carter continua à parler. Jasper. Quel prénom prétentieux. « Hm » fut sa réponse très éloquente, son ton loin d’être convaincu. Ami ou pas, il était évident que ce n’était de toute manière pas le statut que recherchait ce nouveau serveur dont le regard revenait périodiquement sur Carter. Declan pouvait le voir la regarder du coin de l’œil et il priait pour que Jasper croise son regard à lui afin de pouvoir lui communiquer tout l’agacement que ça lui provoquait. Declan fut brutalement ramené sur terre par Carter après sa dernière remarque. Cette fois-ci, il laissa un rire forcé percer ses lèvres. « Jaloux ? » répéta-t-il, comme si le mot lui écorchait la bouche. « Je ne vois pas de quoi » dit-il. Et d’une certaine manière, il avait raison. Si Carter cherchait à sous-entendre qu’il était jaloux de Jasper par rapport à elle, et bien c’est lui qui étai mariée avec elle et en voie d’être le père de son enfant ! Pas Jasper ! Alors franchement, il estimait gagner cette manche. Non pas que c’était un jeu. Et qu’il avait quelque chose à prouver. Car Carter et lui n’étaient pas un vrai coupe et…des mains se posèrent sur lui siennes. Declan baissa le regard sur les mains couvrant les siennes, comme s’il n’avait aucune idée de comment elles avaient pu arriver là. Certes. Le verre était en effet propre et Declan s’efforça de le poser dans la pile, refusant d’être embarrassé par ce geste qui trahissait malgré lui une certaine tension chez lui. Une seconde il rencontrait le regard de Carter, se perdant un instant dans ses traits amusés qui lui donnèrent envie de répondre par un sourire, et celle s’après la demoiselle disparaissait de son champ de vision dans un crac. Il ne perdit pas un instant pour faire le tour du bar, l’imaginant déjà ayant atterri sur le ventre avec toutes les complications que cela pouvait provoquer. Mais non. Elle était sur les fesses, presque adorable avec son talon entre les mains et une mine boudeuse au visage. La petite scène n’avait pas été ignorée, et Jasper avait sauté sur l’occasion, se rapprochant tel un chevalier blanc prêt à relever la princesse en détresse. Declan avait déjà une main tendue vers lui et un « Je gère » acide aux lèvres. Son expression et son don eurent l’effet escompté puisque le nouveau serveur ne chercha pas à les rejoindre, malgré l’air agacé qu’il portait désormais au visage. « Ça va ? » demanda-t-il à Carter en l’aidant à se relever.

Si les sentiments pouvaient être simple à comprendre la vie prendrait une drôle de tournure. Les miens commençaient à être étrange en présence de Declan, je ne savais pas comment les qualifier, mais je les sentais naître en moi un peu plus à chaque fois que je croisais son regard. Pourtant, je ne pouvais pas les définir clairement, j’avais des sentiments, mais lesquels ? Ça pouvait juste être le plaisir de le voir, le fait qu’on ne se détestait plus… Tant de chose pouvait être le facteur de ses émotions, j’avais beau rester attentive à ceux-ci, il me faudrait sûrement une énorme enseigne clignotante pour me faire comprendre quelque chose, et encore. Je savais simplement que j’étais marqué par son sourire aussi rare soit-il ! Aussitôt que je le croisais, j’avais simplement envie de lui rendre ce sourire sans forcément échanger de mot. Je m’étais donc diriger vers lui une fois que j’avais croisé son regard. Il semblait affliger une torture démentielle à ces pauvres verres lorsque je me retrouvais devant lui. Le grincement de ceux-ci hurlait à mes oreilles leur envie de ne plus subir de nettoyage. Il était presque à plaindre. Lorsqu’il parla de Jasper, enfin chercha à savoir qui il était, je ne me gênais pas pour le taquiner. Notre relation avait réellement changé et j’espérais pour le mieux. « Ah non ! Tu n’es pas jaloux, pourtant on dirait bien, Monsieur bougon ! » Je me retenais pour ne pas éclater de rire, car bien qu’on s’entendait mieux, je n’allais pas pousser la chose trop loin. Je ne savais jamais vraiment comment il allait réagir. Alors, qu’il continuait d’essuyer ces pauvres verres, je tentais de le stopper. Vraiment la carrière d’essuyeur de vaisselle était loin d’être son domaine. J’avais à peine réussi à le sortir de sa liturgie vis-à-vis du verre, que je disparaissais derrière le comptoir. Celle-là, je ne l’avais pas prévu ! J’étais grosse, mais tout de même ! Je portais mon regard sur mon soulier dont le talon avait décidé de rendre l’âme. J’affichais une moue, prête à bouder ce fichu soulier que je tenais dans ma main. J’entendais la précipitation de Declan qui avait sans doute resté surprit de me voir me volatiliser ainsi. Je tournais la tête en entendant le ton de la voix de Declan. Je ne comprenais pas pourquoi, mais en voyant Jasper rebrousser chemin, je fronçais les sourcils. Il semblait avoir perdu une bataille, mais pourtant quelle guerre pouvait-il exister entre eux ? « Oui. Toujours fidèle à moi-même. », lui répondais-je, alors qu’il m’aidait à me relever. Tenant toujours mon soulier dans ma main, je poussais un soupire. J’avais l’air d’un flamant rose obèse se tenant sur une jambe. Je n’avais pas trop envie de déposer mon pied sur ce sol. Je regardais Declan près de moi, puis je portais mon regard sur mon soulier. « Je vais faire comment sans soulier maintenant. » Et sans grand étonnement, je sentais le torrent d’eau salée remonter jusqu’à mes yeux. Il m’en fallait tellement peu pour me mettre à pleurer. J’étais complètement à part, mais je sentais les larmes arriver. Je n’avais qu’à attendre quelques secondes et voilà. Celles-ci sortaient comme si j’avais ouvert les robinets pour hydrater tous les clients. Je tentais de retenir mes larmes, déposant une main tremblante sur ma bouche. Après tous ces mois, je ne savais toujours pas dealer avec ce changement d’humeur inattendu. Je sentais finalement des regards poser sur moi et je ne désirais plus qu’une chose me terrer profondément dans un trou, pour ne jamais en ressortir !

La jalousie était un concept avec lequel Declan était étroitement familier. Etonnamment, celui-ci n’avait jamais été causé par une demoiselle. Avec une vie sentimentale aussi plate que la sienne et loin de la passion ardente décrite sur les pages d’un roman ou l’écran d’une télévision, Declan n’avait jamais tenu à quelqu’un assez pour s’émouvoir des attentions des autres. Si sa compagne du jour se voyait soudainement accostée par un autre homme, Declan se contentait simplement de trouver une autre manière de passer sa soirée. Mais Declan avait déjà été jaloux. De cette jalousie propre aux enfants. Celle qui émane d’un désir matériel de posséder quelqu’un chose que l’on n’a pas. Ou celle encore qui naît de l’attention privilégiée d’un membre de la famille sur un autre. Declan ne l’aurait admit sous la torture, mais il lui été arrivé de sentir l’agacement se mêler à la jalousie devant la réussite de son frère aîné. Il ne voulait pas son argent, pas sa vie bien rangée ou son métier prestigieux. Il aurait en revanche aimé pouvoir provoquer dans la voix de ses parents, ce ton animé et fier qu’ils adoptent devant voisins et membres de famille distants. Declan savait bien évidemment qu’il n’avait pas à se battre pour l’affection de son père et de sa mère, mais tout de même. Tout cela pour dire que Declan n’était certainement pas jaloux de ce Jasper ! C’est pourquoi il n’avait même pas daigné relever la remarque de Carter sur son apparente jalousie avant que celle-ci ne vacille de son tabouret. Declan ne pu retenir un sourire. Fidèle à elle-même en effet. Avant, lorsqu’ils étaient encore que de simples collègues, la maladresse de la jeune femme l’irritait au plus haut point. Declan grinçait des dents en entendant le fracas du verre qui se briser résonner dans le restaurant, sachant que Carter en était sans doute à l’origine et que leur boss allait être de mauvais humeur. Ca l’énervait encore plus lorsqu’elle abusait de ce défaut et accusait sa maladresse pour justifier qu’elle venait de renverser un verre sur lui. Aujourd’hui cependant, la chose faisait naître en lui un étrange sentiment d’affection. Comme celui que l’on peut avoir en voyant un bambin tituber sur plusieurs mètres avant de retomber sur son popotin. La scène avait eu pour mérite de détente quelque Declan, la légèreté du moment et sa victoire psychologique contre Jasper suffisant à affaiblir la tension dans les traits du jeune homme. C’est bien pourquoi il fut complètement pris au dépourvu en observant les larmes montant aux yeux de Carter. Declan resta pantois un instant, tentant de rationnaliser le fait que la simple perte d’un soulier avait suffit à bouleverser la jeune femme. Etait-ce les hormones ? Declan n’en avait aucune idée et ne souhaitait pas s’aventurer sur ce terrain là. Il pouvait sentir le regard de leurs collègues sur eux et le sentiment était particulièrement désagréable. Declan ne pouvait s’empêcher d’adopter une posture défensive, s’imaginant déjà ce qui pouvait passer dans leurs esprits. Declan n’avait pas belle réputation à leurs yeux et c’était franchement le dernier de ses soucis. En revanche, le fait qu’ils puissent imaginer que Declan était la cause des larmes de Carter ne lui plaisait pas du tout. « Prenez une photo, ça durera plus longtemps » pesta-t-il dans leur direction. Leurs regards fuyant se posèrent vite autre part, tandis que l’embarras se manifestait sur le visage de certains. Declan en profita pour poser une main maladroite sur l’épaule de Carter dans un geste de réconfort. « Hey, c’est pas grave, ce n’est qu’une chaussure. » lui dit-il. Il n’en savait rien. Peut être que la perte d’un talon était tragique pour une femme. Ce n’est pas Declan et sa manie d’utiliser chaque paire de chaussure jusqu’à l’usure la plus complète qui pouvait en juger. « Par contre, ne la laisse pas là, Jasper serait capable d’interpréter ça comme une version moderne de Cendrillon » continua-t-il dans un vain effort de la faire rire.

Ainsi dans la salle à manger, je me sentais complètement désemparée, alors que je venais de perdre mon soulier. Un vulgaire meurtre de talon, qui m’avait amené à m’échouer sur le sol. Déjà que je n’avais pas beaucoup d’heure de travail, il fallait que mes journées commence ainsi. C’était déplorable. J’avais envie de pleurer, pour la perte de mon talon, cet art de me donner en spectacle ou simplement pour pleurer, mais c’est tout de même ce que je fis après qu’il se soit porté à mon secours. C’était étrange de le voir agir ainsi, mais ça avait le don d’ensorceler mon esprit. Un sentiment que je sentais s’accroitre en moi à mesure que je passais du temps près de lui. Je chérissais ces temps où je travaillais à ses côtés, les voyants un peu comme un trésor inestimable. Mais une fois loin de lui, je n’avais que des pensées à son égard. Je ne savais pas comment les chasser, les restaient en moi comme des formule magique. C’était incompréhensible et pourtant, savoir que tout pourrait s’arrêter d’un claquement de doigt me terrifiait encore plus. Laissant les larmes ruisseler sur mes joues roses, j’échappais un hoquet en l’entendant. Serrant ma main un peu plus sur son avant-bras, je portais mon regard baigné de larme sur lui. Un sourire avait réussi à traverser ce torrent de peine, puis un rire s’échappait de mes lèvres au fur à mesure qu’il parlait. Les gens pouvait bien penser ce qu’il voulait de lui, en quelques mois j’en avais découvert plus sur lui que n’importe qui. Étais-je idiote de me dire que je ne voulais pas qu’il montre ces facettes de lui à d’autre femme ? Essuyant mes larmes du revers de ma main qui tenait ma chaussure, j’entendais Jessica approché complètement affolée. « Carter tu vas bien ! » me demanda-t-elle en voyant mes larmes et se tournant vers Declan avec un regard sombre. « Tu n’as pas bientôt fini de la faire pleurer ! Déjà que tu l’as mise enceinte et t’es pas foutu de lui accor… » Je plaquais mes mains sur la bouche de mon amie. Nos problèmes ne concernaient que nous, je ne voulais pas laver mon linge sale devant tous ces gens. Même si je ne voyais plus notre situation de la même manière. On n’en avait tout simplement jamais parlé. « Il n’y est pour rien. Je suis tombée toute seule et il est venu m’aider à me relever. » Je tournais mon regard vers l’homme qui se devait être mon mari. « Et arrête de toujours l’accuser, j’ai autant ma part de responsabilité. » Mon sourire disparu, alors que je revenais vers le visage de Jessica qui me regardait abasourdie. J’avais peur de fermer la porte qui nous unissait, mais je ne pouvais pas non plus laisser cela traîner. Ce fut néanmoins cette peur qui me fit changer d’idée. « Mais j’ai perdu mon talon. » disais-je en brandissant ma chaussure devant mon amie tout en affichant une moue triste. Agissant souvent par impulsion, elle me prit dans ses bras. « T’es trop adorable quand tu fais cette tête ! J’en ai d’autre avec moi tu n’as qu’à m’en emprunter une paire. » Je la repoussais doucement, laissant mes joues s’empourprer d’une teinte tomate. « Merci. » soufflais-je dans un murmure. Je ne voulais pas l’avouer, mais partir du club pour chaussure brisé ne me plaisait pas. Je voulais profiter de la présence. Jessica me regarda, instant pour que je reste-là alors qu’elle allait me chercher une nouvelle paire. Je me tournais vers Declan, envahie par mon embarras. « Excuse-là, elle a tendance à s’emporter facilement. » disais-je en haussant les épaules. « Tu ne me fais pas pleurer. » soufflais-je un peu pour moi-même et espérant ne pas créer de malentendu.

Declan était loin d’être un comique, mais sa plaisanterie eu l’effet escompté. Un sourire se dessina sur le visage de Carter, ses yeux se plissant et laissant échapper les larmes qui s’y étaient accumulé. Dans un réflexe, Declan sentit son propre visage imiter la demoiselle. Une de ses mains était en suspens au dessus de l’épaule de la demoiselle, prête à délivrer un geste de réconfort mais haltée par la conscience d’être aux yeux de tous et au milieu d’une solution délicate. Declan avait la pressante impulsion de laisser la paume de sa main encadrer le visage de la jeune femme et d’en essuyer les larmes d’un geste de son pouce. La chose aurait été horriblement intime et Declan ne s’estimait pas à en position de faire une telle chose. Il ne manquait plus que Carter fasse un mouvement de recul et l’humilie profondément. Il ne serait sans doute plus en mesure de croiser son regard ! Pire, il opterait pour l’irritation afin d’ignorer la gêne, et pourrait être méchant envers Carter. Non, mieux valait garder le status quo, il s’en sortait plutôt bien pour le moment. Jusqu’à ce que Jessica arrive. Le petit moment avec Carter se brisa l’instant où la meilleure amie fit son entrée. Et comme si cette dernière avait entendu ses craintes silencieuses, Jessica ne tarda pas à l’accuser sur le champ après un regard rapide sur Carter et ses larmes. L’accusation claqua comme un coup de fouet dans l’air et Declan pouvait presque sentir la haine et le sentiment d’injustice se coller à sa peau comme de la poisse. Chacun de ses muscles tendus, comme prêt à attaquer, Declan se redressa et renvoya un regard acide vers Jessica. Si Carter avait rapidement plaqué ses mains sur la bouche de son amie pour l’empêcher de continuer ses critiques, Declan était parfaitement capable de remplir les trous. L’image qu’il avait aux yeux de ses collègues n’était pas un mystère, et il n’en avait généralement rien à faire. Mais là. Jessica laissait presque sous entendre que Declan avait mis enceinte Carter en toute connaissance de cause, telle une punition, et qu’il ne faisait rien pour l’aider dans cette étape. Pire, elle insinuait qu’il était assez ignoble pour la faire pleurer par-dessus le marché. Même à l’époque où lui et Carter étaient des étrangers, jamais il n’aurait été confortable avec l’idée de la faire pleurer. Mais voilà. Il fallait croire qu’il avait sous-estimait la hantise qu’il inspirait chez ses collègues. Declan avait envie de riposter violement. Il se sentait bouillir de l’intérieur. Il voulait lui crier de se mêler de ses oignons, qu’elle ne le connaissait pas le moins du monde, et qui était-elle pour porter un jugement ? Ou était-elle à Vegas pour l’empêcher d’aller finir la soirée avec Declan s’il était si imbuvable ? Ou était-elle quand Carter voulait avorter ? Comme c’était facile de s’improviser héroïne du jour lorsqu’on ignorait la majorité de l’histoire ! Tandis qu’il fixait toujours Jessica, estimant encore la pertinence de riposter, Carter s’improvisait avocat de la défense. Declan baissa un instant le regard, mi-étonné mi-soulagé d’entendre l’avis de la demoiselle sur la chose. Il se serait néanmoins passé de son intervention. Il n’avait pas besoin que Carter redore son image aux yeux de Jessica. Que cette pimbêche pense ce qu’elle veut, il n’avait pas besoin de son approbation. Ni celle de personne. Qu’ils pensent qu’il est une ordure ou pas, seul l’avis de Carter importe à ses yeux, et ce n’est pas l’opinion du public qui l’empêchera d’être un père pour son fils. Carter, de son talent naturel, amadoua bien vite Jessica, au point où celle-ci se jeta dans ses bras, et Declan ne cacha pas l’agacement que lui provoquait la chose. Ca lui écorcherait la bouche de s’excuser au moins ? Apparemment pas, puisqu’elle vogua aussitôt à la recherche d’une paire de chaussure. Declan se sentit soudainement mal à l’aise en la seule présence de Carter. Le petit moment agréable qu’ils avaient partagé était définitivement fini et Declan n’avait qu’une envie, c’était de retourner à sa tâche ingrate et de ne parler à personne jusqu’à la fin de son service. Carter entreprit de s’excuser pour son ami, et Declan se contenta d’hausser les épaules. Grand bien lui fasse ! Declan se retint de lui préciser qu’il l’avait déjà fait pleurer, ce jour si particulier où elle voulait avorter, mais la situation avait été particulière. « Ok » dit-il, car il ne savait honnêtement pas quoi répondre à ça. « Tant mieux ». De pire en pire. « Je vais retourner travailler » dit-il après quelques secondes de silence, indiquant le bar d’un geste de la main. Ce n’est pas qu’il fuyait…mais un peu quand même.