Il l’avait cherché celle-là. S’il sentait la frustration provoquée par la remarque particulièrement injuste, Holden opta pour le mutisme. Faire escalader la chose en une vraie dispute à cause d’une simple paire de chaussures ne valait franchement pas la peine. Il se contenta alors d’un soupir discret avant d’aller rejoindre le bout du lit, essayant de son côté de localiser une paire de chaussettes qu’il était persuadé d’avoir abandonné quelque part par là. Ok, Jane avait peut être un point concernant son organisation, mais il n’allait certainement pas l’admettre. Alors qu’il amassait le courage nécessaire pour aller regarder sous le lit, Jane lui posa une question de courtoisie qui le surpris plus ou moins. Holden leva un sourcil un instant, pensant que sa mauvaise humeur avait ruiné tout début de conversation. Il suspectait par ailleurs que la réponse lui importait peu, souhaitant juste rétablir une ambiance un peu plus agréable. « Plutôt pas mal, oui » répondit-il d’un ton prudent en haussant les épaules. Il étouffa une exclamation satisfaite en observant la paire qu’il cherchait dans le coin de la pièce et s’empressa d’aller les récupérer. Une fois revenu à sa position initiale, il se trouva face au type de question qu’il avait toujours craint. Il s’attendait toujours à une question piège quand une femme lui demandait son avis sur une tenue. Holden s’estimait avoir un certains bon goût, mais qui peut vraiment prétendre savoir ce qui se passe dans la tête du sexe opposé ? Deux femmes et quatre filles plus tard, Holden n’était pas plus avancé sur le sujet. Holden laissa son regard s’attarder un instant sur les deux robes qui lui étaient proposées, convaincu que son avis n’allait pas franchement peser lourd dans la balance. Jane avait sans doute déjà fait son choix. Un coup de tête satisfait ou un roulement d’œil exaspéré allait répondre à son commentaire et Holden n’était pas prêt à s’investir autant au nom de la mode. « La noire » lâcha-t-il enfin, conscient qu’il considérait encore la couleur comme la plus approprié pour le moment. Le moment du deuil touchait presque à sa fin selon l’opinion publique, mais Holden n’était pas encore prêt à passer à l’étape suivante. Loin de lui l’idée de préciser cela à Jane. Si on lui demandait, c’était parce que le vêtement allait dévoiler une bonne partie des jambes de sa femme tout en restant classique et élégant. Holden avait conscience des tensions au sein de son couple, et savait pertinemment que la faute reposait presque entièrement sur ses épaules, mais il ne pensait vraiment pas qu’une question aussi innocente puisse aggraver la chose.

Holden ne pu s’empêcher de froncer les sourcils et d’imiter l’expression boudeuse que ses enfants avaient plus d’une fois tournés dans sa direction. « Diffamation! » répondit-il dans un faux air outré  alors qu’il enfilait ses chaussettes. A cours de ces quarante cinq années de vie, on ne l’avait jamais accusé d’un tel défaut, si bien qu’il sut reconnaître la phrase pour ce qu’elle était: une énième tentative pour détendre l’atmosphère. Holden esquissa un sourire, satisfait de voir que la matinée n’allait pas commencer par une dispute dont il ne pourrait pas se défaire pendant le reste de la journée. Il avait toujours tendance à se repasser les conflits en boucle dans son esprit, cherchant l’élément déclencheur et analysant les alternatives qu’il aurait pu prendre pour éviter la dispute. Pour être honnête, ce n’était pas un problème qu’ils avaient. Leur relation n’était plus aussi chaleureuse qu’avant, mais elle n’était pas ouvertement hostile non plus. Ils étaient justes en pause, comme suspendu entre deux moments tandis que le deuil de Luke se déroulait. Holden était la seule raison pour laquelle ils étaient encore dans cette transition maladroite. Il avait conscience que Jane souhaitait aller de l’avant, mais lui n’était pas encore prêt. Il avait d’ailleurs anticipé sa frustration, sa colère, mais pour le moment elle ne l’avait pas encore accablé pour son attitude. Elle respectait encore sa douleur, mais peut être plus pour très longtemps. Peut être en avait-il besoin après tout, un bon coup de pied aux fesses pour le sortir de sa léthargie. Après de longues secondes où Holden remis en question tout ce qu’il avait pu faire au cours de sa vie, il sembla passer le test vestimentaire et il s’en félicita un instant. Il était temps qu’il se douche à son tour, le sommeil lui collant encore désagréablement à la peau, mais il observa un peu plus longtemps sa femme enfiler la robe qu’il avait choisie. Il méritait de voir les conséquences de son bon goût après tout! Le regard qu’elle lui lança par-dessus son épaule n’était pas des plus subtil et Holden s’en voulu un instant de ne sentir qu’une légère affection face à ses efforts. Ce n’est pas qu’il n’était pas attiré par Jane, il fallait être aveugle pour ne pas l’être, c’est juste que l’intimité lui semblait être une chose tellement obsolète pour le moment. A croire qu’il était irrespectueux de profiter des petites choses de la vie alors que son fils n’allait plus jamais avoir l’occasion de ressentir quoique ce soit. Se punir de la part de Luke n’allait aider personne, Holden en avait conscience, mais c’était une de ses choses dont il avait du mal à se défaire. Il hocha la tête à sa requête, s’approchant pour remonter lentement la fermeture éclair. Une fois arrivée à sa nuque, il y déposa un baiser pour ne pas sembler trop insensible, mais il n’avait aucune intention d’emmener la chose plus loin. Il passa les bras autour de sa taille et posa son menton dans le creux de son épaule. « Tu as des plans pour aujourd’hui? » demanda-t-il, changeant maladroitement le sujet de conversation.  

Holden n’était pas stupide. Ce n’était même plus des messages qu’envoyait Jane mais des immenses néons avec une flèche pointée sur sa tête. Du pétillement de ses pupilles au mouvement de ses doigts, il n’était que trop clair la direction que Jane souhaitait voir cette journée prendre. D’autres que lui auraient sautés sur l’occasion. Lui-même l’aurait évidemment fait d’ordinaire. Ce n’est pas qu’il n’avait pas envie, après tout il n’était qu’humain et sa femme, en plus d’être la personne qu’il aimait comme un fou, était dotée d’un physique qui ne souffrait aucunement du temps qui passe. Ils n’étaient pas encore de ces vieux couples qui se noient dans le quotidien et réduisent le sexe à une tâche planifiée à l’avance. Mais il est vrai que l’intimité n’avait pas eu sa place entre eux ces dernières semaines. Il n’était que normal que Jane souhaite briser ce mur, et Holden s’en voulait d’être celui qui prenait toujours un pas en arrière. Il avait eu tellement de soucis, tellement de peine, pour s’autoriser à penser à lui et son couple. Alors il l’embrassa histoire de s’offrir un peu de temps, une main glissant dans sa nuque pour la maintenir contre ses lèvres. Il ne souhaitait cependant pas initier quoique ce soit s’il n’avait pas l’attention d’aller jusqu’au bout. Il se recula, juste assez pour pouvoir rencontrer son regard et jauger la frustration dans ses yeux. « Je ne sais pas Jane » dit-il dans un soupir, ses mains faisant des allers-retours sur les bras de sa femme comme pour la consoler du rejet qu’il hésitait encore à prononcer. « Ce n’est peut être pas le bon moment » et n’était-ce pas la une faible déviation. C’était un samedi après tout. Rien de pressant n’entachait son emploi du temps, aucune demande particulière n’allait être demandé de lui et pourtant, il se trouvait des excuses sans vraiment trop savoir pourquoi. Il n’était pas assez lâche pour donner l’argument des enfants, car avec toute la marmaille ayant résidé sous leur toit, ils avaient dû apprendre à être discret et efficace lorsqu’ils voulaient un moment à eux. Ça n’avait jamais été un problème. Non, le problème c’était qu’Holden n’était pas d’humeur, se sentant perpétuellement fatigué par les soucis que la vie lui avait apportées. Soucis que supportaient également Jane, et pourtant. Peut être pouvait-il se rattraper plus tard dans la journée. Après tout, Jane était déjà douchée et à mi-chemin d’être complètement habillée pour entamer le premier jour du weekend. « J’ai quelques petites choses à régler d’abord » mentit-il. Des détails administratifs qui pouvaient très bien être reportés à plus tard. « Mais, ce soir? » proposa-t-il, essayant de se racheter comme il pouvait. Il était prêt à y mettre du sien, à profiter des quelques heures devant lui pour se défaire des pensées qui le retenait. Il pourrait même l’emmener au restaurant pour dîner, la totale. Cependant, il doutait que cela soit suffisant.

Il ne lui fallu pas attendre longtemps pour observer les conséquences de ses actes. A chacun de ses mots le visage de Jane semblait se durcir, ses traits s’assombrissant et la colère balayant tout le désir qui s’y était trouvé quelques secondes auparavant. Holden n’avait pas souhaité commencer la journée en énervant Jane, mais il avait bel et bien réussis. Lui qui croyait qu’il était si malin à essayer de se racheter en reportant leur petit tête à tête à plus tard, s’était mis le doigt dans l’œil. Il se sentait presque vexé qu’elle le pense incapable de tenir sa promesse. Il n’avait que quarante cinq ans, merci bien, il n’allait pas s’écrouler comme un vieux croûton et feindre le sommeil pour ne pas avoir à toucher sa propre femme. C’est qu’il avait sous-estimé l’ampleur de la situation si Jane pensait qu’il irait à de tels extrêmes pour éviter d’être seul en sa présence. Comment lui faire comprendre que ce n’était pas personnel? Elle n’avait rien fait de mal, ses sentiments envers elle n’avaient pas changés! « Voyons Jane…» tenta-t-il de l’apaiser mais elle l’ignorait déjà. Il avança un bras pour la retenir quand il était évident qu’elle allait se défaire de leur proximité mais elle fut trop rapide. Holden l’observa s’éloigner furieusement dans un soupir. Il doutait qu’il puisse rattraper la situation d’une manière ou d’une autre. Techniquement parlant, ce n’était pas la première fois que Jane était en colère contre lui, et ça n’allait certainement pas être la dernière. Elle allait ruminer dans son coin toute la journée, l’insultant avec grande originalité, avant de se calmer et d’accepter le pardon de son mari. C’est pourquoi Holden était plus que près à couper court le dialogue pour leur laisser le temps de reprendre leur esprit chacun de leur côté, mais la phrase de Jane eu le don de court-circuiter son plan.  Il resta là un instant, la bouche ouverte autour de mots qu’ils n’avaient pas encore trouvé. Voilà bien un argument qu'il n'avait pas le moins du monde anticipé. Qu’est ce que Joan venait faire là-dedans?! « Mais de quoi tu parles? Ça n’a rien à voir avec Joan! ». répondit-il d’un air exaspéré. Il n’avait pas vu son ex-femme depuis l’enterrement de leur fils, et elle n’était certainement pas la raison de leurs problèmes conjugaux. Alors certes, il s'était plus exprimé avec cette dernière au sujet du décès de Luke, mais c'était compréhensible, il s'agissait de son fils après tout. Cela avait été dur de la revoir après toute ces années, et la raison de leur retrouvaille n'aidait aucunement la chose. Holden ne l'avait jamais pardonné pour son adultère, et encore moins pour avoir complètement disparu de la vie de leur enfant. La rancœur n'avait cependant pas été à l'ordre du jour alors qu'ils étaient occuper à pleurer la mort de l'enfant qu'ils avaient créés à deux. Mais en aucun cas ce petit interlude avait-il renoué une quelconque romance entre eux! C'était ridicule de pensait de la sorte et ça semblait être cependant ce qu’insinuait Jane.