Mon enfant était mort et c’était réalité était toujours aussi difficile à porter. Néanmoins, j’avais la sensation que je pouvais survivre. Chaque nouveau jour, bien que douloureux me montrait que je pouvais survivre à cette épreuve. Est-ce que je pouvais être heureuse ? Il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin, mais j’étais capable de survivre ce qui me semblait irréel. Une part de moi culpabilisait quelque peu de réussir à vivre en l’absence de mon fils mais je savais que je ne devais pas me punir. A la découverte de la maladie de mon bout de choux, je m’étais inscrite sur un forum de discussion sur la question avec des femmes ayant connu la même chose que moi. Pouvoir parler de ce genre de chose avec des personnes capables de me comprendre pour avoir eux aussi perdus leur chair, cela me faisait incroyablement du bien. Je me sentais sincèrement soulagée de pouvoir réellement parler et depuis j’arrivais à me lever le matin et surtout à arrêter de me réfugier dans le travail.

Vivre, il fallait vivre pour le souvenir de mon fils. C’était ce qui ressortait le plus des expériences que j’avais pu lire. Ces femmes fortes m’expliquaient qu’il ne fallait pas arrêter vivre, qu’il fallait au contraire faire vivre le souvenir de notre amour perdu. J’avais décidé de suivre les conseils. Ce n’était pas aisé, mais je savais que je devais faire des efforts pour que cela redevienne naturel. J’avais besoin de rire d’une certaine manière et Jared me semblait être le meilleur choix. Bien qu’il était un homme avait qui je couchais régulièrement mais plus que cela, il était un ami qui savait me faire rire. Je savais qu’avec lui, on pouvait ne pas se prendre la tête. Je lui avais donc envoyé un sms pour lui proposer de se voir sur la plage de la ville. J’avais envie de manger au bord de mer et puis cela ne faisait pas de mal, il fallait profiter de ce que nous offrait les alentours de la ville.

Il avait été d’accord et je lui avais donné rendez-vous en bas de chez lui pour prendre la route en direction de Malibu. Ma pauvre voiture faisait pitié mais c’était le meilleur moyen pour rouler jusqu’à Malibu. Une fois en bas de chez lui, j’envoyais un sms pour lui dire que j’étais là. Un peu de musique dans la voiture, j’essayais de faire le vide pour essayer d’être la plus agréable possible. Je savais que lorsque je n’allais pas bien, je pouvais me montrer un peu acerbe et parfois méchante. Je voulais faire des efforts pour mon ami et pour moi-même. Après tout, l’objectif était de passer un bon moment, d’oublier les soucis alors je me mettais en condition. J’avais mis un mixte de Selena Gomez et de Britney Spears. Cette musique avait toujours été du genre à me motiver alors je m’étais toutes mes chances.

Jared arriva enfin et il entra dans la voiture. Je lui fis un large sourire puis la bise avant de démarrer la voiture en route pour la plage. « La forme ? » demandais-je l’air de rien en me concentrant sur la route. « Merci d’avoir accepté de m’accompagner, même si c’est pas la période, il fait quand même bon. » De plus, on pouvait dire que nous étions dans une région où il faisait toujours globalement chaud. On était pas au niveau de l’Alaska, clairement pas.

J’étais heureuse de passer une journée en compagnie de Jared. C’était une personne importante pour moi. Bien que nous couchions ensemble, nous étions avant tout des amis et cette amitié était fondamentale pour moi surtout ces derniers temps. J’avais perdu la plupart de mes repaires pour ne pas dire ma totalité de mes repaires. On m’avait conseillé de me raccrocher de cette manière à la réalité et je devais bien reconnaître que cela marchait. Etre positive était difficile pour moi mais j’y arrivais durant ce genre de journée. Je me faisais violence pour me bouger les fesses et je reconnaissais les effets bénéfiques. Je devais continuer à avancer et ne pas m’enfoncer dans le souvenir négatif de mon expérience. Tous les témoignages que j’avais reçu me disais la même chose.

Une fois chez Jared, je le vis rapidement monter et sans plus attendre, nous prîmes la route. Lorsqu’il me demanda comment j’allais, je ne préférais pas répondre. Il m’était difficile de répondre à ce genre de question car pour être honnête, je faisais en sorte de ne pas penser à comment j’allais. Je faisais en sorte de ne pas penser afin de ne pas me laisser envahir par les sentiments. Je savais parfaitement que mon équilibre était fragile et je ne voulais pas le mettre en péril, c’est pourquoi, j’avais simplement éludé la question de Jared. Le chemin fut calme et je me laissais à rire au blague de Jared. Il savait parfaitement me détendre. Il était un homme bien et je savais que j’étais chanceuse de l’avoir parmi mes amis. « Tu n’es définitivement pas Baudelaire. » lui répondis-je pour le taquiner avec un clin d’œil.

Une fois garée sur le parking de la plage, je vis Jared sortir comme une fusée pour venir m’ouvrir la porte. « Et bien et bien, tu es au petit soin. » lui dis-je avec un rire. Je sortie de la voiture et la fermais finalement à clef. Il y avait une légère brise fraiche mais ce n’était pas désagréable du tout. J’aimais ce genre de brise à présent car cela ne faisait que me sentir vivante. Rapidement, on se dirigea vers le sable et je ne pu m’empêcher de le pousser gentiment dans le sable. Bien entendu, c’était un grand gaillard, je savais qu’il s’en remettrait. Mais je reculais tout de même en reculant car le connaissant, ma petite blague n’allait pas rester sans représailles et je ne voulais pas lui faciliter la tâche.

L’insouciance, ne plus avoir le temps de penser et de réfléchir était ce que je recherchais. J’avais beau faire tous les efforts du monde à forcer mon esprit à ne plus penser mais je n’arrivais pas. J’usais donc de stratagème pour essayer de tenir chaque jour. J’avais remarqué que passer des heures et des heures sur mon travail me permettaient de réussir à oublier. Mais la nuit tombée, une fois allongée dans mon lit, rien ne permettait à mon esprit de ne pas y penser, de ne pas rêver, de ne pas pleurer la perte de mon enfant. En journée, j’étais forte, j’étais capable de donner le change, de sourire, d’être professionnel mais ma carapace n’était pas armée par la nuit tombée, par le moment d’aller se coucher. J’en venais à redouter le moment de la nuit.

Aujourd’hui, je recherche l’innocence, l’insouciance avec Jared. Il étai un ami fidèle à moi. Il n’était pas doué pour trouver les mots, mais il était présent, il savait être présent à sa manière. C’était un ami, un vrai. C’est pourquoi j’étais heureuse d’être avec lui, j’étais heureuse de l’avoir embêté en le faisant tomber dans le sable et pour la première fois, j’étais heureuse de courir sur cette plage, les cheveux s’emmêlant déjà par l’air chargé en sel. La Caitlyn fêtarde et insouciante était là, comme si elle n’avait jamais disparue. Courant, j’essayais sans succès d’échapper à Jared en hurlant de rire. Il m’attrapait finalement et me mettant sur son dos. J’essayais de me débattre pouvoir descendre, toujours en riant. Je le suppliais mais cela ne marchait pas.

Il me fit tomber finalement à l’eau. L’eau froide réveilla tout mon corps, me fit sentir à quel point j’étais vivante. Cette vie que je possédais, que mon fils n’aurait jamais la chance de connaître, cette vie que temps de personne recherche. Il me paraissait inconcevable de venir la gâcher. Je possédais la vie, j’avais cette chance et au nom de toutes les personnes l’ayant perdu, de mon fils qui n’avait pas eu la chance de la connaître, je devais vivre, je devais rire, je devais avancer. La vie est bien trop courte, bien trop fragile pour ne pas essayer d’avancer et de la vivre comme il se doit. Bien entendu, je portais un fardeau, un poids sur mes épaules mais cela ne devait me rendre que plus forte, cela devait me rendre plus forte. « Pars pas si vite. » Réagissant enfin, j’attrapais les jambes de Jared et je le forçais à le faire tomber dans l’eau. « Je ne serais pas la seule mouillée ici. » dis-je dans un rire.

Nous étions à présent tous les deux dans l’eau. Mais une eau froide encore en ce début d’année. « C’est malin tout de même. On va tomber malade avec tes histoires. » Surtout que je n’avais absolument pas penser à prendre des rechanges. Néanmoins, cela ne me faisait pas sortir de l’eau car j’avais la sensation qu’en sortant de cette eau froide, je perdrais la sensation d’être vivante. Je me pelais le cul mais c’était la preuve que j’avais un cul et je n’étais pas prête à parier qu’il serait toujours là une fois sorti de là. Je baissais finalement le regard. « Tu sais, ce qui est difficile en ce moment c’est d’accepter l’idée de vivre sans lui… par moment j’oublis… et je culpabilise car… » je réprimais un sanglot.

« Quelle mère je suis si je suis heureuse en l’absence de mon fils ? Quelle mère je suis si je vis alors que lui non ? » Je continuais à me mordre la lèvre inférieure pour ne pas craquer. Cette confidence soudaine était simplement le corolaire de mes montagnes russes émotionnelles depuis la mort de mon enfant ne sachant pas ce qui est bien, ce qui n’est pas bien, si je suis sur la bonne route ou pas. J’avais la sensation que me sentir vivante était le bon chemin, mais je n’étais pas encore capable de vivre avec le sentiment de culpabilité à l’idée de vivre sans mon enfant, d’avancer sans lui. J’avais cette sensation de l’abandonner au bord du chemin comme si il n’était qu’une épreuve que j’avais passé et que je ne regarderais plus jamais.

Je me demandais si nous pouvions vivre une vie normale après avoir connu la perte d’un enfant. Arrivons-nous à reprendre un quotidien ? Je n’en savais rien. Parfois j’avais l’espoir que cela soit possible mais il y avait toujours ce sentiment de culpabilité qui venait me rattraper. Si seulement j’avais pu lui offrir ma vie pour lui permettre de vivre. Je me sentais tellement coupable de ne pas avoir su donner la vie qu’il méritait. Car après tout, oui, j’avais échoué. Cela peut vous paraître stupide mais j’étais incapable de me dire que j’avais joué mon rôle de mère alors que je ne lui avais pas offert un corps en bon état de marche. Il m’était très difficile d’accepter cela malgré le fait de savoir que mon enfant n’avait jamais eu de conscience. D’une certaine manière, c’était un réconfort pour moi de me dire qu’il n’avait tout simplement pas souffert.

J’étais ici avec Jared dans l’espoir de me détendre, essayer d’oublier. Mais ce qui me frappait à chaque fois que j’essayais de reprendre une vie normale arriva, la culpabilité. J’avais cette culpabilité de rire, de ne pas me morfondre, tout simplement profiter de la vie. Cette culpabilité m’était bien trop difficile à surmonter pour le moment. Plantée dans l’eau, j’essayais de garder un minimum de contenance face à Jared sans grand succès. Je savais qu’il n’était pas à l’aise avec ce genre de situation et malgré ma promesse intérieure de ne pas me laisser rattraper par cela, je n’avais pas pu être assez forte pour supporter cela. La douleur, et surtout le poids de culpabilité que je pouvais ressentir ne pouvait pas être comparable, ne pouvait pas être comprise par une personne qui n’avait jamais perdu d’enfant.

Jared essaya de trouver les bons mots. J’avais conscience de sa situation soudainement délicate mais il savait cependant trouver les mots pour me calmer même un baiser. Dire que grâce à lui je me sentais libérer d’un poids, il ne faut pas exagérer mais il avait réussi dans l’immédiat à me calmer quelque peu. « J’aurais tellement aimé pour faire cela avec lui. Jouer, rire, grandir avec lui. » Je fis une pause tout en continuant à regarder l’eau en mouvement autour de nous. « C’est tellement injuste. » La vie était injuste clairement. Je me passais une main dans les cheveux mais des nœuds et le sel coincèrent mes doigts à l’intérieur. « Aïe. » dis-je en trouvant le moyen de sortir mes doigts de là. « Tu n’as pas idée à quel point j’envie tes cheveux courts par moment. » La plage, c’était la mort pour les cheveux ou du moins une bonne séance de torture. Je soufflais d’avance à l’idée de devoir souffrir pour démêler le tout.

Il n’était pas facile de se relever de certaines épreuves, même si nous avions un esprit combattif. Et il était également bien plus souvent facile de croire que l’on peut que de le vivre réellement. Cependant, j’avais pris la décision, cette conviction que je serais capable de me relever de cette épreuve, malgré mes chutes successives. J’avais conscience que je mettais Jared dans une situation un peu compliquée. Moi-même, je n’étais pas capable de savoir ce qui pouvait me réconforter, alors je ne préférais pas imaginer ce qu’il pouvait se passer dans la tête de ce beau brun. Si il avait pu sortir une carte joker, nul doute que c’était ce qu’il aurait fait.

Consciente de tout cela et de ma nouvelle chute, je mettais un point d’honneur à ne pas rester au sol. Et même si la façade n’était pas parfaite, j’essayais de rebondir sur quelque chose de plus joyeux. C’était une manière pour moi de forcer mon esprit à croire au bonheur de la situation. Efficace ? Je n’irais pas jusque là. Illusoire ? Clairement et pour le moment, c’était tout ce dont j’avais besoin pour me relever. « Hors de question que tu touches à mes cheveux ! » lui dis-je en m’éloignant de lui rapidement alors que mes fesses étaient toujours dans l'eau. Si je pouvais enviée parfois les cheveux courts, je n’étais pas de ce genre de femme qui acceptait l’idée d’avoir les cheveux courts. J’avais besoin de cheveux d’une certaine longueur pour me sentir féminine et la coupe à la garçonne, c’était très peu pour moi.

Jared demanda alors à ce que l’on commence le pic-nique. « Allez ». Je me levais alors pour sortir de l’eau relativement froide. « Par contre, j’ai rien pris pour manger. Je pensais que nous irions prendre un kebab ou bien un sandwich américain. » Il fallait dire que j’étais relativement friande de ces trucs et j’aimais profiter des occasions que j’avais pour manger ce genre de chose. Et puis bon, je crois bien que j’avais le droit de mal manger niveau diététique. Je défiais quiconque de me faire un reproche à ce niveau là. Une fois sur la plage, je tendais la main vers Jared pour qu’il me tienne la main. Il n’y avait rien de romantique dans ce geste, j’avais simplement envie d’être proche de lui pour pouvoir m’appuyer sur lui une fois que j’aurais passé mon bras sur le sien. « Qu’est-ce que tu préfères ? »