Declan avait conscience d’en rajouter un peu une couche niveau drame, mais il avait honnêtement l’impression que son monde s’écroulait. Planté au milieu du salon, ses parents lui faisaient face et le calme sur leur visage le rendait dingue. Sûrement, il méritait bien une petite larme ou deux, après tout il était en train d’être jeté à la rue ! Mais non. Sa mère avait son expression typique de « qu’il est adorable quand il s’énerve » alors que son père ne cachait même pas qu’il regardait plus la télé que le débat devant ses yeux. Declan fit un pas de côté pour bien dissimuler l’écran, juste pour le faire chier. Il reçut un haussement de sourcil en réponse, et oh mon Dieu, fallait-il qu’il se mette à pleurer pour qu’on le prenne au sérieux. « Mais je vais être à la rue ! » gémit-il, les yeux exorbités de panique. Sa mère roula des yeux et Declan se redressa, la bouche ouverte d’outrage. Etaient-ils en train de partager la même conversation, car il commençait sérieusement à en doute. « Declan » entama-elle lentement comme si elle s’adressait à un tout petit enfant.  « On ne va pas te demander de partir ce soir. Pas avant que tu ais un appartement » continua-t-elle dans un sourire qu’elle pensait sans doute être réconfortant. Declan ouvrit la bouche pour répondre mais son père fut plus rapide. « On a pris le soin de rassembler des recherches de colocation pour te faciliter la tâche » dit-il en lui tendant un tas de papier qu’il refusa de prendre. « J’espère que vous vous souviendrez de ce moment quand vous retrouverez mon cadavre sous un pont » grommela-t-il mais ils ne l’écoutaient déjà plus. « Regarde ton frère, il est parti de lui-même à 17 ans et il n’en est pas mort ! » ajouta sa mère dans une arrière pensée, avant de partir sur une tangente à propos des derniers exploits de l’aîné de la famille. « Oh. Mon. Dieu. » interrompit-il bruyamment. Si on le comparait une fois de plus à son frère il allait devoir mettre le feu à quelque chose. Lui-même, probablement. Ce n’est pas qu’il n’aimait pas son frère. Et pas non plus que la famille en entier s’amusait à mettre Alexander sur un pied d’estale tout en jugeant son cadet du coin de l’œil. Non. Mais le contraste entre eux était difficile à ignorer et Declan n’arrive pas à passer outre. Alexander était médecin et fiancé à Gil, cette jeune fille de bonne famille, qui essayait de faire passer inaperçu le fait qu’elle buvait désormais du jus d’orange à l’apéritif plutôt que de l’alcool. Il ne manquait plus qu’un golden retriever pour compléter le tableau! Ils s'étaient engueulés une fois. Alexander le pressant d'arrêter de faire le gosse et de prendre sa vie au sérieux. C'était mal le connaître. Retrancher Declan n'avait jamais été la bonne technique d'approche, si bien qu'au lieu d'admettre la raison il ripostait a coup de lourd sarcasme et nonchalance forcée. Il n'y a rien qui énerve plus les personnes que d'avoir l'impression de parler à un mur. Declan s'était sentit minable pendant plusieurs jours après cette conversation. Le jeune homme se laissa tomber sur le canapé, tête la première, étouffant un grognement dans les coussins. Quelques instants après il sentit le siège s’affaisser à ses côtés et une main lui glisser dans les cheveux. Il refusait d’être conforté par sa traîtresse de mère mais ne pouvait se résoudre à se défaire de son emprise. « Declan » commença-t-elle. « Ne prend pas ça comme une punition. C’est pour ton bien ». Et il le savait bien évidemment, mais cela ne l’empêchait pas de faire le difficile. Il n’avait pas le choix de toute manière. « Voit les choses du bon côté, tu pourras ramener autant de filles que tu veux chez toi! » ajouta son père. Celui-ci avait l'idée fausse que son fils était un gros tombeur. Où il était allé chercher ça, Declan n'en avait aucune idée. Il n'était pas sûr s'il devait être flatté par cette remarque ou traumatisé par le fait que son père s’intéresse à l'activité de sa vie sexuelle. « La pauvreté c'est pas sexy » opta-t-il de répondre. La conversation tourna encore en rond de longues minutes pendant lesquels Declan réussit à négocier le chat et un droit de retour immédiat si son colocataire s'avérait être un psychopathe. 3 semaines plus tard, il était installé dans un appart pas trop dégueulasse, avec un coloc pas trop craignos. Deux semaines encore après il décrochait un double emploi dans un domaine qui ne justifiait pas le moins du monde d’avoir passé plusieurs années à étudier ce qui se passe dans la tête des gens. Declan justifiait ça comme quelque chose de temporaire avant de se mettre en quête d’un boulot digne de ce nom. Lui-même ne croyait qu’à moitié ses paroles.



« Vous êtes pas censé me conseiller ? ». Declan haussa une épaule ce qui provoqua un soupir irrité chez l’autre. Alors bien sûr qu’il aurait dû lui dire qu’un Fer 5 était plus approprié pour cette distance, mais puisque monsieur l’avait bassiné pendant une demi-heure sur son soi-disant talent de golfeur, le jeune homme ne se sentait nullement coupable. Pas une seule fois il n’avait demandé son avis, juste ordonné comme un chien à chaque fois qu’ils allaient d’un trou à l’autre. Mais sa chance commençait à le quitter et en accuser Declan semblait être un réflexe automatique. Son tir fut pathétique et le caddie dissimula un sourire dans une légère toux. « Ça doit être le vent » glissa Declan d’une mine désolée, comme la pourriture qu’il était. Autant dire que la partie tourna court. Quelques heures plus tard, il  nettoyait des balles de golf dans le silence de la réserve quand son boss fit irruption dans la pièce. « Je devrais te virer » fut son introduction. Le truc, c’est que Declan n’avait honnêtement pas le caractère pour travailler au contact des clients. Mais s’il y a une chose qu’il sait faire c’est prétendre. Ce n’est pas difficile quand les clients sont sympas, qu’ils flirtent avec lui et lui glissent un bon pourboire. Mais il suffit qu’une personne lui déplaise au premier coup d’œil et Declan tourne le tout en une parodie. Ses sourires tournent un peu plus mielleux et chaque phrase dissimule une insulte particulièrement bien cachée. Il n’est pas toujours aussi subtil qu’il le pense, si bien que les plaintes auprès du patron ne sont pas une nouveauté. « Sans aucun doute » répondit-il d’une voix traînante sans lever les yeux de sa tâche. Mais s’il allait le faire, il l’aurait fait depuis longtemps. Parce que oui ce n’est pas le métier du siècle et ce qu’il a envie de faire jusqu’à la fin de ses jours, mais Declan reste compétent dans ce qu’il fait. Le Green, il le connait comme le fond de sa poche et fournit d’excellents conseils quand il s’en donne la peine. Accessoirement, le polo qu’il doit porter lui va à ravir. Pareil pour son boulot au club le soir : c’est le chouchou des filles avec son air de chien battu et l’angle de sa mâchoire, et il est particulièrement adroit pour jongler divers verres sur un plateau. Mais il n’est pas parfait. Il soudoie le barman pour un petit verre discretos, il a élevé à un niveau olympique la course à l’employé du mois, et n’a pas toujours l’air super réveillé. « Ne pousse pas ta chance, mon gars » lâcha enfin son boss après quelques secondes de silence avant de rajouter avant de partir : « Et au lieu de faire semblant d’être occupé ici, va aider Carter à ramasser tous les clubs qu’elle a fait tomber dans la boutique ». Declan lâcha un soupir, posant lourdement la balle qu’il avait entre les mains sur une étagère. Ça ne serait pas une journée normale si la maladresse de Carter - ou Wendy comme il aimait l'appeler depuis qu'il avait jeté un coup d'oeil à sa carte d'identité - ne lui donnait pas du boulot en plus. A y réfléchir, ça ne semblait pas si mal en comparaison de passer le reste de sa vie assis dans un fauteuil confortable à se rassurer de sa santé mentale en entendant les problèmes des autres.