Aaron ne voyait pas quel intérêt avait Jonas de mentir, mais le soldat ne pouvait décemment pas prendre le jeune homme au mot. Il ne le connaissait pas, malgré le vague échange de présentation qui s’était déroulé. Le jeune homme hocha la tête mais ce fut Olivia qui lui répondit verbalement, et Aaron pivota aussitôt son regard vers elle, alarmé par le ton de sa voix et la gravité de son regard. Aaron sentait son corps se raidir à chacun de ses mots, ne sachant quelle émotion allait l’emporter. Une certaine forme de peur évidemment. Celle de savoir que quelque chose d’assez sombre s’était construit hors de son champ de vision et que la suite avait le potentiel de devenir encore plus alarmant. Et une certaine forme de colère également. Parce qu’Olivia avait encore cru bon de lui cacher quelque chose. C’était différent cette fois puisqu’il s’agit de quelque chose de bien personnel, quelque chose qui l’a touche elle en premier lui. Mais pas que. Olivia n’est pas seule, et ce qui l’affecte touche forcément Aaron et Liam. Le jeune Maccallister ne comprenait pas pourquoi la jeune femme était aussi déterminée à le protéger soi-disant. A le protéger d’une paternité qu’il allait être obligé d’assumer de toute manière. A le protéger d’une menace inexistante. Celle d’un homme affaibli par l’âge et les remords et dont même la plus tenace des perversions ne pourrait rivaliser avec l’instinct d’Aaron. Mais il comprenait. Il comprenait et s’efforçait de ne pas y voir là un manque de confiance. « Tu aurais dû me le dire » soupira-t-il, ne pouvant résister à l’impulsion. « Tu aurais dû l’ignorer, ne pas rentrer dans son jeu » continua-t-il, conscient que c’était plus facile à dire qu’à faire. Aaron était arrogant dans sa situation de fils ayant grandit dans un environnement sain. Il ne pouvait imaginer ce qu’avait été de grandir auprès d’un homme comme le père d’Olivia. Le plus grand des optimistes pourrait y voir là l’opportunité d’une seconde chance, mais Aaron n’avait aucun désir de voir cet homme là entrer dans leur vie, repenti ou non. Olivia partageait le même sentiment, mais s’il avait été mis au courant, Aaron aurait pu lui dire que rendre visite à son père n’allait pas résoudre le problème. Ces gens là ne s’arrêtent jamais quand on leur demande. Aaron pris une grande inspiration. Ça ne servait à rien de blâmer Olivia. Elle avait fait ce qui lui semblait être le mieux et elle n’avait pas besoin qu’Aaron lui tienne tête sur ce sujet. Il s’approcha, le bébé toujours dans les bras puisqu’il avait l’étrange répulsion de devoir le poser avant que l’inconnu en sorte de chez eux. « Ce ne sont que des lettres » dit-il d’un ton qui se voulait plus calme. « Il n’a aucun pouvoir ». L’homme pouvait tout essayer, Aaron allait l’attendre de pied ferme. Olivia alla ensuite s’adresser à Jonas, déballant tout ce qu’elle avait sur le cœur. C’était difficile pour Aaron de la voir dans cet état, gardant la tête haute mais souffrant tout aussi clairement. Puis l’autre explosa. Il n’y avait pas d’autres mots pour la fureur qui dévala son visage, effaçant toute trace du gamin stone et complètement à l’ouest qu’ils avaient trouvés en entrant dans la pièce. « Hey » ne put-il s’empêcher d’intercaler au cours de sa tirade. Justement énervé ou pas, Aaron n’appréciait guère qu’on s’adresse à Olivia sur ce ton sous son propre toit. Jonas sembla réaliser son explosion et baissa les yeux. Aaron pris cela comme un signal qu’il n’allait pas devenir complètement fou et commencer à taper tout ce qui bouge. A sa demande, Aaron lui tendit son téléphone qu’il avait récupéré en revenant de la salle de bain. « Ouais, un instant » lui répondit-il. Aaron s’approcha d’Olivia pour lui tendre Liam, non sans déposer un dernier baiser contre la tempe de sa compagne. « Je reviens tout de suite » ne put-il s’empêcher de préciser. Il accompagna ensuite Jonas jusqu’à la sortie, lui tendant tout de même un bas de jogging et un vieux sweat-shirt qu’il choppa au passage. Ils arrivèrent enfin à la porte, et Aaron fut soulagé que Jonas prenne la parole. Il n’aurait su quoi lui dire. La tension retombée, la situation se voulait maladroite. « Ne la juge pas sur ce que tu viens de voir » fut sa réponse. « Elle supporte beaucoup de stress, et ça ne m’étonnerait pas qu’une fois cette situation résolue, une cherche à te rencontrer ». Il n’y avait rien de moins sur, mais qui sait. Il restait un semblant de famille après tout. « Ne t’inquiètes pas pour elle, je ne laisserais rien lui arriver » promit-il. « Essais d’y aller mollo sur l’alcool la prochaine fois » acheva-t-il avec un début de sourire. Peut être aurait-il été poli de le faire attendre à l’intérieur. De lui proposer de passer la nuit, qui sait. Mais c’était le milieu de la nuit et Aaron avait assez de méfiance pour deux. Alors il salua le jeune homme et ferma la porte derrière lui, incertains quant au fait de savoir s’ils recroiseront un jour le chemin de Jonas dans de meilleurs circonstances.

Dans mes rêves les plus fous, j’imaginais une vie ou mon père ne pourrait jamais me retrouver. Une vie où tout serait plus simple. Arc-en-ciel mais aussi des papillons partout. Je rêvais tellement de ça. Je rêvais que la justice ne soit que la justice et que tout se passe bien. Je rêvais que ma vie soit plus simple ou je rêvais simplement que mon monde soit plus gérable. On ne peut pas toujours avec ce que l’on veut. Je me sentais comme une boule de nerf face à cet homme qui lui avait sûrement connu un autre homme que moi enfin c’était ce que je voulais me dire. Comment une femme serait restée mariée à mon père tout en supportant des coups ? Elle ne devait pas en avoir reçu contrairement à maman. Bien sûr, il m’en avait parlé au parloir. Après tout le parloir sert à parler mais je n’avais écouté que d’une oreille trop effrayée et manque de confiance en lui. Oui, effrayée. Comment l’être autrement ? Comment seriez-vous ? Je n’en savais rien. Je le sentais perdre son sang-froid mais je ne comprenais tellement pas ce que ce garçon faisait chez moi. Pourquoi ? Comment ? Il avait beau l’avoir dit mais j’en étais effrayée à cette idée. Comment était-il réellement fichue de penser qu’il était le bienvenue dans le lit de mon bébé ? Ce n’était pas seulement sa présence mais un peu la défense d’une maman contre un inconnu dans le fond. Je connaissais réellement l’ignobilité de l’être humain. J’avais beau être forte mais je n’en étais pas moins tellement vulnérable. Oui, faible. Aussi faible qu’une carotte que l’on peut simplement briser en deux ou qu’une allumette. Je pouvais être cassée d’une rapidité affligeante et pourtant on ne le dirait tellement pas mais mon passé était ma faiblesse. Cet homme était ma faiblesse. Positivement ? Non pas vraiment. Il me disait ne pas être comme lui. Je l’écoutais mais je ne disais rien de plus. Je sentais ces frissons de la tête aux pieds. J’étais effrayée par son ton employée. Je revoyais le peu de souvenirs que j’avais de mon passé. Je ne pensais pas qu’il soit comme lui. Non, sûrement pas mais pourtant je reconnaissais quelques traits de lui. Il avait juste plus de cheveux. Je prenais une profonde inspiration en reculant alors qu’Aaron venait s’interposer mais… je ne réalisais plus rien. J’étais un peu comme déconnectée. Une sorte de déni ? Peut-être. Je venais totalement d’annoncer aussi à Aaron toutes ses choses et je n’osais pas affronter le fait qu’il le découvrait. J’aurais dû lui dire c’est ce qu’il avait dit avant que je n’agresse ce jeune homme. J’aurais dû lui dire. Une part de moi le savait. Une part de moi se disait que j’aurais dû le faire mais une part de moi avait peur que cela rende cette situation encore plus réelle et qu’elle ne brise l’illusion d’un rêve ou il n’était simplement rien dans ma vie. Un rêve ou cet homme n’allait jamais s’immiscer.  Alors qu’Aaron me tendait Liam, je prenais le bébé dans mes bras. Celui-ci semblait s’agiter un peu plus mais sans pleurer. Il sentait mine de rien la nervosité. Les bébés sont bien trop doués pour voir ce genre de choses. Je me rendais simplement dans la cuisine. Oui, des pas légers presque innocent comme si de rien n’était. J’allais vers le frigo en ouvrant celui-ci. J’attrapais un biberon déjà tout prêt de lait maternisé. Je le secouais légèrement avant d’aller le mettre dans le chauffe biberon pendant une petite minute. J’ignorais ce qui se passait à l’entrée de l’appartement. Je préférais peut-être l’ignorer ? Je n’en savais rien. J’attendais que le biberon soit prêt pour aller là-bas. J’approchais de la porte alors qu’il la fermait derrière cet inconnu à mes yeux. Je n’en étais pas plus sereine. Je me rendais un peu plus près et je tournais la clé deux fois dans la serrure avant de relever mon regard vers Aaron. « Je suis désolée ! », disais-je alors en le regardant dans les yeux. « J’aurais dû te le dire… », murmurais-je aussitôt en riant nerveusement. « C’est stupide si j’ai envie d’aller verrouiller toutes les fenêtres ? », lui demandais-je en sentant ces frissons. Cette terreur. Je devais avouer que le fait qu’il ait pété les plombs m’avait littéralement effrayée. Totalement. Ce n’était même pas ces mots mais le ton. Je ne savais pas qui il était mais je n’étais pas encore prête à lui faire confiance. Je n’étais pas prête à rompre l’illusion. Je prenais le biberon qui était dans ma main pour aller le porter à la bouche du bébé. Logique. Il était l’heure après tout mais c’était une drôle de façon de s’en rappeler. Je relevais le regard vers Aaron. « Merci ! », disais-je bêtement mais de quoi ? De tellement de choses en fait. Je ressentais juste le besoin de le dire. Je ressentais le besoin de le remercier d’être lui. Le besoin tout simplement de le remercier de ne pas être un homme ignoble. Pas comme mon père.