Te considères-tu proche de ta famille ? Oui, enfin, si on veut. J'ai grandi dans l'idée que ma mère était ma soeur, à partir de là, j'ai du mal à me construire. J'ai évolué dans un mensonge, mais on m'a dit la vérité, ça fait un an maintenant. J'ai aussi des grands parents, qui m'ont élevée pendant cinq ans et demi. Je ne comprends pas pourquoi ils ne sont plus avec moi. Samuel c'est mon cousin, et Baptist c'est mon tonton. Samira c'est la soeur de maman, je l'ai appris et je tiens à elle aussi vous savez. Elle a eu une maladie, et j'avais beaucoup de peine pour elle, alors on allait la voir, je m'entends plutôt bien avec elle. Veux-tu fonder une famille ? Beh... Je suis un peu petite pour penser à ça, vous croyez pas ? Après, je ne sais pas comment ça marche ni comment on fait pour fonder une famille, je crois qu'il faut se marier avec un garçon, et manger une petite graine, qui tombe dans le ventre et ça devient un bébé. Mais ça, je verrai après, je préfère m'occuper de mes poupées. C'est pas pour de suite, de toute façon, je peux réfléchir non ? Vis-tu toujours chez tes parents ou as-tu ton indépendance ? Bah oui ! J'habite chez ma maman avec Toby. Toby il est gentil, un peu bizarre mais bon moi je l'aime bien, parce qu'il s'occupe de moi et qu'on peut jouer ensemble parfois. Mais maintenant, il y'a un quatrième locataire ici. C'est le bébé qui a un nom qui se mange. Moi je l'aime plus vraiment ce bébé. Je ne sais pas si je l'aimerai un jour, c'est juste... C'est pas juste. C'est lui qui aura maman  toute sa vie. As-tu toujours vécu à Pasadena ? Nan. Je n'y suis pas née, mais j'y vis aujourd'hui. Maman, Toby, Brownie et moi, on vit dans un petit appartement, et c'était bien mieux avant, quand le bébé gâteau n'était pas encore là. J'ai vu la photo en noir et blanc qu'ils ont prise quand il était encore dans le ventre, et j'étais heureuse de voir ça. Je sais qu'il faut que je sois gentille avec lui et que c'est un peu mon frère, que je dois le protéger lui aussi, des méchants et des monstres qui vivent sous le lit... Comment définirais-tu le mot "famille" ? Des coeurs débordants d'amour ? Hum. Pour moi, famille, c'est les personnes qui comptent pour moi. Je ne sais plus si je dois mettre mes grands-parents dedans, après tout, ils m'ont déposée chez ma mère,et en sont repartis sans me laisser autre chose que de l'incompréhension. Je comprends rien ! Et ça me plait pas de pas comprendre. Mais la famille c'est aussi mon papa, et même si je le vois jamais, je sais qu'il existe, mais c'est pas grave, j'aime imaginer comment il est. Qu'aimes-tu en particulier ? Je vous l'ai dit, j'aime les oursons en chocolat, les peluches, j'adore jouer avec les animaux, sauf avec les moustiques et les bestioles comme ça. Beurk c'est moche. Et d'abord, pourquoi ça existe ces machins ? Bon, et puis j'aime aussi parler, peut-être que je parle trop, on m'a dit de faire attention et de ne pas adresser la parole à quelqu'un que je ne connais pas et surtout de pas monter dans les voitures ni dire oui à une sucette ou un bonbon. J'aime le dessin, le coloriage par dessus tout, j'aime quand il y'a du vent, quand il pleut ou quand il neige, comme ça, je reste à la maison pour user tous mes crayons. J'aime la danse, même si j'en fais pas, je m'amuse toute seule quand je m'ennuie. J'aime écouter des chansons et jouer avec mes copines, j'aime bien embêter les garçons, même les grands, c'est rigolo et on me dispute jamais tellement pour ça. J'aime quand il fait froid, parce que je peux me blottir contre les gens que j'aime, et recevoir des caresses et des bisous sans même en réclamer. J'aime le chocolat chaud, et puis tout ce qui se mange et qui est coloré. J'aime les fruits rouges, les cookies et les cupcakes, ceux qui sont bien décorés vous savez. Avant, j'aimais les brownies, mais depuis que je sais que c'est le prénom à mon petit frère, moi je déteste. Bien sûr, j'aime ma famille. Que détestes-tu en particulier ? Les noisettes. Je suis allergique à ça. Du coup je n'aime pas. Je déteste avoir trop chaud, parce que j'ai beaucoup de cheveux sur la tête et ça réchauffe encore plus. Et non ! Je les couperai pas, ça va pas oui ? J'y tiens à ma crinière de princesse, elle est belle. Je déteste les moustiques, ça pique. Je déteste devoir avaler un médicament si je suis malade, c'est beurk. Je déteste quand les gens se disputent devant moi. Je déteste quand Brownie pleure, parce que ses larmes et ses cris volent toute l'attention. C'est pourtant que des larmes et des cris. Je déteste l'eau, si ça ne tenait qu'à moi, je n'y mettrais jamais les pieds. Je déteste le père Noël, il fait peur, et tous ses lutins et ses rennes, je les aime pas plus. Je déteste voir quelqu'un rire sans que je comprenne pourquoi il rit. Je déteste voir quelqu'un pleurer sans que j'y puisse quoi que ce soit. Je déteste que les gens s'en aille sans dire au revoir... Je déteste quand maman et Toby sont tristes.

Tout le monde vient du ciel. Ou peut-être de la mer. Peut-être de la mère, et un peu aussi du père. Elle, elle n'en sait rien, elle n'a que six ans. Elle sait que son papa, jamais elle ne l'a connu, jamais elle ne le verra, elle pensait faire pareil avec sa mère, mais elle est revenue, après quatre ans d'absence, quatre ans d'indifférence. Elle a habité avec ses grands-parents, jusqu'au matin où tout s'est enchaîné, elle a quitté son monde, pour celui de Billie. Mais je vais trop vite. Faut revenir au début. ---

--- Elle est venue au monde à Los Angeles, parait-il. Elle est née sans mémoire, auréolée de l'innocence inhérente à l'être humain qui voit pour la première fois, sans aucun souvenir du ventre de sa mère, sans aucun souvenir de la couleur de ses yeux. Elle sait juste qu'elle était sa mère, sans savoir qui c'était. Elle était un bébé bien portant, une petite boule de chair rosie par le froid, mais qu'on a vite enveloppée dans une couverture polaire. Elle avait les yeux bleus et le nez rond, les bras et les jambes potelés et la bouche en croissant de lune rose pâle, elle souriait de toutes les dents qu'elle n'avait pas. C'était ce temps-là, où elle n'avait conscience de rien.

--- Son enfance a été plutôt douce. Une vie banale, avec des grands-parents aimants. Mais pas de maman. Juste une grande soeur. Billie c'est son nom. Dawn n'a jamais rien compris. Billie a du mal à s'occuper des enfants, elle a du mal à s'occuper des cochons d'inde. Dawn la trouve drôle, et c'est sa soeur, alors. « Ma puce, arrête de courir partout, tu me fais tourbillonner la tête. » Dit le grand-père en mimant l'expression d'un geste de la main. Dawn est trop active, c'est pire qu'une Duracell. « Je joue ! » Répond la fillette en continuant son vacarme infernal. « Dawnie, arrête immédiatement ou tu t'en prendras une ! » Cette fois, ça y'est. Elle a réussi son coup. Enerver son grand-père, qui pourtant est avec elle très doux. L'enfant s'assied, en tailleur sur le tapis, prenant dans ses bras l'ourson brun qu'est Pauly et qui comble tant sa vie. « Ce n'est qu'une peluche, c'est inanimé, ça n'a pas de coeur, ça n'a pas d'âme. » Ne cessaient de lui répéter les autres. « Pourquoi j'aurais pas le droit, juste parce qu'il a pas un coeur qui bat ? C'est nul. C'est nul et c'est pas juste. »

Si tu savais, Dawnie. Si tu savais comme on peut aimer fort parfois. Il arrive même qu'on continue à aimer, après que le coeur cesse de battre, mais c'est une autre histoire, et t'es trop petite pour le savoir. Mais garde ton amour, pour les êtres humains, les objets ne servent à rien, et ne te le rendront pas.

--- Le silence. Trop de silences. Trop de mots qui ne sortent pas. Et soudain, une voix enfantine. « Vous me dites alors, ce que vous vouliez me dire ? » S'écrie-t-elle en s'impatientant, les bras croisés et les yeux grands ouverts. Les grands-parents s'observent, en fuyant son regard à elle, pour finalement avouer, la simple vérité, qui n'était pas simple à écouter. « Billie... » Alors quoi ? « Ma soeur ? » S'enquit la petite fille en haussant les épaules. « C'est... » La voix de sa grand-mère résonne dans son esprit. Les phrases sont là, tout au bout de ses lèvres entrouvertes, mais se tuent d'elles-mêmes avant d'être entendues. En fin de compte, ils lui disent. Et Dawn peut répondre, maintenant, à la question du monde, celle que les enfants doivent connaître. Et qui est ta maman ? Billie c'est son nom. Billie c'est maman.

--- Depuis quatre ans, maman parait absente. « Elle a des choses à faire, ailleurs, qui sont plus importantes que moi... » C'est un murmure, un timbre pleurant, de l'enfant qui se sent délaissée. Ce n'est que depuis un an, qu'elle sait. Elle sait tout. Mais elle ne comprend toujours pas. Elle est peut-être trop jeune, pour arriver à imaginer une vie avec sa mère qu'elle n'a jamais appelée maman. Mais un jour, tout change. Les grands-parents l'accompagnent devant chez Billie, et abandonnent devant la porte la petite Dawn dont le regard questionne tout le monde. Des Pourquoi ? en pagailles, des émotions qui submergent. Elle a du mal à réaliser, elle n'arrive chez sa mère qu'avec une lettre manuscrite ; quelques mots sur une feuille, ont décidé de sa vie. Et Billie la récupère. C'est si simple de modifier l'existence d'un enfant.

--- Tout se passe normalement. La vie à la maison, avec Billie et Toby, ça va. Dans un premier temps, Dawn et Billie appelaient Toby l'alien. Pourtant, elle l'adore, ce garçon qui vit avec elles. Jusqu'à ce qu'elle voit le ventre de Billie devenir rond. Au début, elle était assez contente. Mais au fil des semaines, la jalousie reprend le dessus. Elle jalouse ce bébé qui a prit forme dans le temple sacré qui l'avait portée elle, pendant neuf mois interminables. Elle est furieuse, de voir Brownie débarquer dans leur maison et prendre les affections. Et même Toby s'occupe plus du bébé que d'elle maintenant. Quant à Baptist, c'est... En quelques sortes le frère de Billie. En tout cas, Dawn a pas tout bien compris. Mais elle l'aime bien lui aussi. Et il y'a Samuel aussi, le cousin de sa mère.

--- Samira va mieux d'après ce qu'il parait. Dawn est contente, elle a sauté au plafond lorsqu'elle l'a su. C'est sa tante, et Dawn aurait donné beaucoup pour l'aider. En plus, elle ne peut pas voir les hôpitaux en peinture, surtout pour les autres, elle a détesté voir Samira comme ça.

C'est qu'une enfant. Juste une enfant. Elle n'a pas fini de grandir, elle n'a pas appris à se défendre, ni à défendre les autres, mais elle voudrait protéger tout le monde, comme elle voit faire les grands. Si elle devait lui dire, si elle savait parler de ce qu'elle ressentait pour elle, à sa mère arc-en-ciel, comme elle aime l'appeler dans sa tête, sa mère si belle que toutes les couleurs lui vont bien au teint, elle lui dirait...
Je ne suis pas un cochon d'inde, maman. Je suis sage, et si tu m'aimes, ça ira. Je suis plus facile à vivre qu'un hamster. Je ne mange pas trop. Je suis gentille et douce, j'ai un coeur gros comme une montagne de pierres précieuses et je t'offrirai des diamants. J'ai une voix qui ne porte pas, parce que je suis petite, et que les adultes ne m'écoutent pas. J'aime être dans tes bras, ça me fait comme un berceau. T'es partie quatre ans, mais moi je ne t'en veux plus. Je ne déteste pas Brownie. Je déteste juste ce qu'il possède quand moi je ne t'avais pas. Je ne t'ai jamais appelée Maman, mais c'est toi ma maman, et maintenant tu es ma terre, et tu es tout pour moi. Je ne suis pas un petit chiot, je n'ai pas besoin de laisse, et je peux marcher sans toi. C'est quand je veux courir, que j'aime être près de toi. J'aime ton parfum maman, j'aime savoir que tu es derrière moi, quand je chute ou quand je pleure, quand je crie ou quand j'ai peur, j'aime penser que tu es là. Je ne suis pas une tortue. J'ai des bras et de la force ! Si ! Je peux te rattraper si tu tombes, je te sauverai des monstres. Ne sois jamais triste, maman, parce que je ne peux pas guérir tes larmes. Et si je crie maman, c'est pour te dire que je suis là. Et si je hurle maman, c'est pour que tu ne m'oublies pas. T'as du mal à t'occuper de moi, mais je peux m'occuper de toi. T'as du mal à me comprendre, mais moi je t'aime quand même, comme dans les chansons à la radio, c'est toi que j'aimerai toute ma vie, tu fais de l'amour dans mon coeur.
Au lieu de ça, elle se contente de sourire, les mots ne lui viennent pas à l'esprit, elle ne sait pas parler des sentiments, elle est encore si petite. Un jour, elle lui dira.

--- Avec le temps, Billie s'améliore. Toby est comme son père. Mais Dawn regarde le nouveau bébé d'un air envieux, un peu jalouse des bisous qu'il reçoit. Elle aimerait garder toute l'affection, et tous les égards. C'est un bébé, c'est tout. Quoi de si génial, se dit-elle en fait, faut peser quatre kilos pour qu'on s'occupe tout le temps de nous ?