something about you

Siobhan avait peur que la soirée se déroule mal. Elle a déjà eu quelques fois l'occasion de garder des enfants mais c'est toujours un peu angoissant. Elle ne connaît pas cette petite fille, et devait donc tout reprendre à zéro avec elle. Pourtant, il n'y a eu aucun incident à noter. A une ou deux reprises, Lia a demandé après son père mais Siobhan s'est très vite assurée de lui changer les idées et lui faire penser à autre chose. Pour cela, elle a bien sûr dû jouer avec elle. Un peu trop longuement mais elle n'aime pas les enfants pour rien : elle s'est adaptée et a fait en sorte qu'il n'y ait aucun incident. Malgré le bon déroulement de cette soirée, Siobhan est plus qu'heureuse lorsqu'elle couche Lia. La petite fille semble déjà l'apprécier et c'est réciproque, elle est vraiment adorable. Calme, souriante, et belle comme tout. En même temps, ce n'est pas la fille d'Alix Cain pour rien. Ta gueule toi ! Son portable en main, Siobhan s'installe sur le canapé du salon. Elle prend tout juste ses marques, mais n'ose pas trop en faire. Jusque-là, elle n'a pas été capable d'allumer la télévision, et encore moins d'étaler ses affaires. Son sac à dos est posé juste à côté d'elle, sur le sol, à côté du canapé et elle ne l'en bougera pas. C'est quand même un professeur du lycée, elle ne peut pas se permettre de prendre ses aises chez lui. Ce serait trop bizarre, non ? Pourtant, à moitié consciente de ce qui arrive, Siobhan ne tarde pas à s'effondrer sur le canapé, endormie. Sa journée éreintante aura eu raison d'elle et de sa motivation à ne pas se laisser aller.

Tirée de son sommeil par la présence de quelqu'un juste à côté d'elle et par une voix qui vient de prononcer son prénom, elle ouvre les yeux dans un sursaut. Pour se retrouver quasiment nez à nez avec Alix. Enfin, monsieur Cain. Elle l'observe quelques secondes, le temps que toutes les données soient assimilées et montées à son cerveau avant de reculer brusquement la tête. Désireuse de maintenir une certaine distance entre eux ... pour l'instant. Elle vient de se réveiller sur son canapé, ses pieds encore munis de ses chaussures posés là où ils ne devraient pas être et, sans aucun doute, un air endormi collé au visage. « C'est ... Chiobanne. » La jeune fille déteste vraiment que l'on dise mal son prénom mais elle ne peut quand même pas lui en vouloir : il est vrai que sa prononciation n'est pas évidente. Voire pas évidente du tout. Maladroitement, elle se redresse sur le canapé, laissant ses pieds retomber sur le sol - ils seront bien mieux que sur son canapé ... - et faisant face à Alix. « Je ... Désolée, je n'aurais pas dû m'endormir. » Et surtout pas comme ça. Siobhan passe sa main sur sa nuque, un peu gênée. Elle ne l'aurait pas été en temps normal mais la manière dont les choses se sont faites ... Elle a de quoi se sentir mal à l'aise, vraiment. « Votre soirée s'est bien passée ? » Elle ne devrait peut-être pas lui poser cette question, mais c'est par pure politesse. Elle ne s'attend pas à ce qu'il lui raconte les détails de ce qu'il lui a fait, ni même qu'il prenne la peine de lui dire où il est allé. C'est logique qu'il ne le fasse pas, mais c'est aussi logique qu'elle fasse preuve d'un minimum de sympathie avant de filer.

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C'est un peu bizarre de se retrouver dans cette situation, mais Siobhan n'oublie pas que c'est elle qui en est l'instigatrice. Elle a proposé au professeur de garder sa fille après avoir entendu qu'il cherchait une baby-sitter. Peut-être aurait-elle dû faire preuve d'un peu plus de délicatesse, ou de réflexion tiens, mais elle n'a pas eu à passer par là. C'était urgent pour elle et elle avait cru comprendre que ça l'était pour lui aussi. Au final, cela s'est bien passé et elle en est satisfaite. Seulement, il va lui falloir du temps pour s'adapter pleinement à cette situation étrange et au fait de se retrouver seule avec lui. C'est d'autant plus gênant là, tout de suite, qu'elle s'est endormie sur le canapé, ses chaussures toujours aux pieds. Heureusement, lui ne semble pas mal le prendre. Au contraire, il lui adresse un sourire poli avant de répondre à sa question. Siobhan hoche la tête, n'ayant de toute façon rien à dire à cela. Elle ne pourrait quand même pas plus le questionner, elle risquerait de franchir une limite qu'il ne veut évidemment pas la voir dépasser. Et puis, ça ne la regarde pas. Quoi qu'il soit aller faire, ce ne sont en rien ses affaires. Siobhan s'installe mieux dans le canapé, juste avant qu'Alix ne s'assoit à ses côtés. Elle n'a pas à être gênée, elle n'a pas être gênée. Elle a beau se répéter cela, elle a le sentiment que cela ne change absolument rien à son ressenti. La jeune fille coule un regard dans sa direction, les mains obstinément collées l'une à l'autre sur ses cuisses. Elle observe attentivement son visage, ses yeux clairs plantés droit devant lui, la ligne de sa mâchoire, ses lèvres ...

Siobhan détourne le regard à l'instant même où Alix pose ses yeux sur elle. Elle s'empêche, par miracle, de rougir comme une collégienne et prétend être soudain fascinée par la télé en face d'eux. Pas sûr que cela fonctionne réellement mais c'est mieux que de se laisser surprendre en pleine contemplation. Enfin, en pleine observation. Bien sûr. A son tour, il l'interroge. Oh. Elle aurait peut-être dû parler de cela en premier lieu, non ? C'est qu'elle ne fait pas souvent ça, et encore moins avec un professeur cela va sans dire, elle n'est pas encore assez calée. Enfin qu'importe, elle ne va pas se laisser démonter pour quelque chose d'aussi banal. « Oui, très bien. » Siobhan tourne la tête dans sa direction, un sourire aux lèvres. C'est elle où il la regardait ? Ouais, non, elle doit se faire des idées. Cela ne peut être que ça. « Lia est adorable. » Et elle pèse ses mots. Elle a bien essayé de la tester une fois, pour voir où se trouvaient les limites mais cela s'est vite calmé et elle n'a pas bronché le reste du temps. Excepté pour jouer avec elle, bien sûr. « Elle m'a dit qu'elle avait six ans, c'est ça ? » C'est le moment où elle doit partir n'est-ce pas ? Pourtant, elle n'en a aucune envie. Seulement parce qu'elle veut avoir le plus d'informations possibles sur Lia, bien sûr. Au cas où elle doive la garder un autre jour et l'aider à faire ses devoirs, par exemple. C'est juste pour ça. Aucune autre raison derrière.

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Alix est quand même sympathique, pour un professeur. Quand elle a limite insisté pour garder sa fille, elle aurait pu se manger un mur, se prendre le vent du siècle. Peut-être était-il vraiment désespéré et dans le besoin, toujours est-il qu'il a accepté et que, pour Siobhan, il est désormais hors de question de perdre ce job. Cet argent, elle en a besoin. Et si elle ne dirait pas non à un emploi plus stable et mieux rémunéré, elle n'y a, pour l'instant, pas accès. Alors, elle se contente de ce qu'elle a. Et puis, c'est vrai Lia est adorable. Siobhan a déjà gardé quelques enfants, mais rarement des aussi gentils que cette petite. Pas agaçante pour un sou, pas du genre à crier et à courir partout - ou, en tout cas, pas en permanence -. Et puis, son visage est tout mignon. Elle a eu l'occasion, à une ou deux reprises, de noter un certain nombre de ressemblances physiques avec son père et elle parvient encore plus à cette conclusion en observant le visage du-dit père. Pas sûr qu'il apprécie d'être regardé avec autant d'insistance - encore plus par elle - alors elle détourne le regard et tâche de se concentrer pleinement sur leur conversation en cours. Qu'est-ce que cela change, qu'ils aient le même nez ? Rien. Absolument rien. « Oui, elle voulait à tout prix vous attendre au départ. Et puis je l'ai convaincu en lui promettant une histoire. » Ce n'est pas tant pour marquer des points qu'elle lui explique cela, elle n'est pas du genre à supplier pour qu'il la garde ou à se vanter sur ce qu'elle a fait ou pas fait, mais plus pour lui faire partager cet instant. C'est surtout pour qu'il ne rate rien. Elle ne connaît pas grand chose le concernant, pour ne pas dire rien du tout, mais Lia lui a avoué à demi-mots qu'ils ne se connaissaient pas depuis longtemps, tous les deux. C'est triste mais Alix a l'air vraiment concerné par l'éducation de sa fille.

Et puis, tout ça ne la regarde pas ! C'est un bon père, c'est indéniable, elle n'a pas à savoir où est la mère, et encore moins pourquoi Alix n'était pas avec sa fille ces dernières années. Ce n'est en rien quelque chose qui la concerne. Un sourire amusé étire les lèvres de Siobhan, qui oublie instantanément les questions insistantes qui lui traversent l'esprit : elle imagine très bien Lia réclamer un poney alors qu'elle la connaît à peine. « Un poney, rien que ça ? » Elle rigole légèrement, amusée. Quoi que, en même temps, certains enfants ont des goûts plus excentriques encore. Elle pourrait - déjà - demander un smartphone dernier cri, ou une tablette hors de prix. Un poney, ça coûte cher, mais c'est dans la nature. Rien d'électroniques ou d'abrutissant. Le silence s'installe et, inévitablement, les pensées de Siobhan se focalise de nouveau sur Alix, sur leur discussion. Ce n'est que maintenant qu'elle le réalise, il l'a tutoyée. Elle en est presque extatique, avant de se rappeler à l'ordre : c'est logique qu'il la tutoie, elle a seize ans. Il en a beaucoup plus. Siobhan a l'impression d'avoir été prise la main dans le sac lorsqu'il reprend brusquement la parole. Pourtant, elle a bien entendu les gargouillements de son ventre, mais ça n'a pas été suffisant pour la ramener sur terre et lui faire oublier ses incessants questionnements. Siobhan s'apprête à répondre à sa première interrogation, un peu gênée à l'idée de manger ici, mais il la coupe et lui propose plutôt de ranger chez elle. Oui, c'est sans doute mieux comme ça. « Oh euh, oui, je vais plutôt rentrer, je ne voudrais pas déranger. » Ce serait trop bizarre, non ? « Aucun problème, je viendrai vous voir demain. » De toute façon, elle n'a pas le choix, cet argent elle en a besoin. Mais c'est un prof' et elle lui fait confiance : il n'oubliera pas. « Et je me disais que je pourrais peut-être vous laisser mon numéro de téléphone ? Pour ... vous savez, m'appeler si vous avez besoin de moi. » Ce serait plus pratique pour eux même si la question de savoir comment elle l'appellera dans son répertoire se pose. Bah oui, doit-elle mettre son prénom ? Son nom de famille ? Ou juste "père de Lia" ? Bon sang, c'est trop compliqué et étrange tout ça. Elle ne devrait pas être aussi mal à l'aise, pourtant. Y a pas de quoi.

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Alors il y a bien une mère derrière ? Enfin, évidemment qu'il y en a une, il faut être deux pour faire un enfant. Mais elle ne semble pas être dans le tableau à proprement parlé. Il y a de quoi se questionner, non ? C'est normal qu'elle le fasse. Normal qu'elle se pose tout un tas de questions. Jamais elle n'ira poser la question à Alix, et encore moins à Lia - il ne manquerait plus que ça tiens -. Mais sa curiosité est très forte, heureusement elle réussit à se retenir. Ce serait bête de perdre ce job parce qu'elle a poussé trop loin ses interrogations. Elle est disciplinée et bien éduquée, cela n'arrivera pas. Elle aura besoin de revenir ici à un moment ou un autre, pour gagner de l'argent. Et puis, elle apprécie d'ores et déjà Lia, elle a hâte de la revoir pour passer du temps avec elle. « C'est vrai qu'elle a l'air plutôt têtue. » Elle passait d'une histoire à l'autre mais elle a insisté pour en avoir deux au dernier moment. Et autant dire qu'il était hors de question de discuter avec elle : sa décision était prise. La conversation change du tout au tout après un court instant de silence, à la fois gêné et tranquille - tant d'émotions contradictoires, c'est déstabilisant -. Cette fois, ils évoquent le départ à venir de Siobhan puis l'argent qu'il lui donnera quand il aura le liquide. Pas de problème sur ça, elle lui fait confiance, elle sait qu'il ne prendra pas la fuite. Et puis ... cela ne presse pas tant que ça. Si elle veut gagner de l'argent, c'est pour en mettre de côté pour ses futures études. Elle n'en a pas besoin dans l'immédiat même si elle ne veut pas laisser cela traîner trop longtemps. Le mieux, c'est que tout soit en ordre le plus vite possible. Après, elle sent qu'elle peut lui faire confiance, c'est l'essentiel. Sans compter qu'elle lui doit bien cela : il lui a accordé toute sa confiance de son côté.

Alors qu'elle n'est rien d'autre qu'une pauvre gamine de dix-sept ans, encore au lycée. Dans le lycée où il travaille, se répète-t-elle pour la énième fois. Juste histoire de remettre ses idées en place et d'arrêter de poser distraitement ses yeux sur ses lèvres. Avant de décoller, parce que c'est ce qu'il y a de mieux à faire dans l'immédiat, Siobhan s'assure qu'il ait son numéro de téléphone. Elle ne veut pas paraître lourde ou quoi mais cela peut leur rendre service à tous les deux, alors pourquoi passer à côté ? Un sourire aux lèvres, la blonde attrape le téléphone portable - le vieux téléphone, soit dit en passant - d'Alix et rentre son numéro dedans. Elle a le sien mais l'échange n'avait pas été fait, il est donc grand temps de remédier à cela. Elle n'a plus qu'à espérer qu'il ne changera pas d'avis, ou qu'il ne trouvera pas quelqu'un d'autre. Mais ce n'est pas le moment de douter, alors qu'il semble en effet très content d'elle. C'est un prof et tout, il ne doit pas être du genre fourbe, à faire les choses dans le dos des autres et à profiter de sa jeunesse pour obtenir ce qu'il veut sans retour. « Tant mieux, alors n'hésitez pas à me contacter, je suis plutôt disponible en dehors des horaires de cours. » De toute façon, il n'aura pas besoin d'elle en dehors des horaires de cours : Lia va à l'école, elle aussi. Et puis, il se doute bien qu'elle ne peut pas en pleine semaine, au milieu de la journée. En revanche, elle ne fera pas sa compliquée sur les horaires, s'il a besoin d'elle pour une soirée, voire une nuit, pas de soucis, elle sera prête. Siobhan lui rend son téléphone, tâchant d'ignorer le long frisson qui la parcoure de part en part lorsque leurs doigts s'effleurent. « Oh ne vous embêtez pas pour ça, je vais rentrer à pieds. » Hors de question qu'elle le laisse lui payer un taxi ! Et elle-même ne s'en paiera pas un, c'est hors de prix et beaucoup moins rassurant à ses yeux. Elle préfère marcher - vite -. Cela peut paraître insensé mais c'est comme ça, elle n'est pas si effrayée à l'idée de se retrouver celle dehors à une heure aussi tardive. « Je n'habite pas très loin de toute façon. » Enfin, pas très loin, n'exagérons pas mais ce n'est pas non plus à l'autre bout de la ville alors ça va : tout se passera bien. Elle lui adresse un bref sourire, avant d'aller enfiler sa veste et récupérer son sac à dos. Ce n'est pas tout ça, mais elle devra se lever demain, elle a prévu de passer la journée avec Siloë. Et puis mieux vaut qu'elle parte avant que tout ne devienne encore plus bizarre. C'est donc ce qu'elle fait, après avoir lancé un dernier regard en direction d'Alix. Allez, ce n'est que le temps de s'habituer à toute cette situation, l'atmosphère finira bien par se détendre.