« Tu vois celui qui se tient devant le filet ? C'est le gardien. Il est très important dans l'équipe, il doit empêcher la rondelle d'entrer. » J'avais cinq ans lorsque mon père m'a emmené pour la première fois à un match de hockey. 21 mars 1997, Red Wings contre Rangers. Je m'en rappelle comme si c'était hier. À cette époque, je n'y connaissais pas grand chose à vrai dire sur ce sport. En même temps, j'étais assez jeune. Tout ce que je comprenais s'était que lorsque l'équipe de New York faisait un but, on devait crier de joie et taper dans nos mains. Même lorsqu'on est dans notre propre salon. Ce que je trouvais assez étrange, étant donné que l'équipe ne pouvait pas nous voir les encourager. Enfin, je le faisais quand même, car mon père le faisait. Oui, j'étais cet enfant qui idolâtrait son père. Faut dire que nous étions une famille assez proche mes parents, mon frère et moi. Nos vieux ont toujours été tourné vers la famille, prêt à tout pour subvenir à nos besoins. Nous n'avions pas besoin d'avoir un million de dollars pour être heureux, nous nous avions et c'était suffisant. « Mais papa, tu vas rater le match. » J'affichais une mine triste après que mon père m'ait annoncé que ma mère et lui allaient être partis pendant quelques heures. « Mais non, je serai de retour à temps pour qu'on puisse le regarder ensemble. Je te le promets. » Il plaça son poing devant moi pour que je lui fasse un "fist bump" comme on avait l'habitude de faire. Je savais qu'il n'allait pas briser sa promesse. Le samedi était notre soirée hockey et ça depuis quelques mois. Notre petit moment à nous. Malheureusement, ce soir-là, il n'a pas tenu sa promesse. Pour le coup, j'étais fâché, même si je ne savais pas qu'en fait, si mon père avait pu, il aurait été là. J'avais donc passé la soirée à regarder le match avec mon frère. Il n'était pas un grand fan comme moi, mais il restait de bonne compagnie. Après le match, notre gardienne vint nous annoncer qu'il était maintenant le temps d'aller au lit. Plus tard durant la nuit, je sentis une main se poser sur mon épaule et une pression sur mon lit. Sûrement ma mère qui venait me border. Même lorsqu'elle arrivait plus tard, elle venait faire un tour dans ma chambre. Étendu dans mon lit, je frottai mes poings contre mes yeux et me tourna vers ma mère, pour en fait y découvrir notre gardienne. Que faisait-elle encore là ? Mes parents n'étaient toujours pas de retour ? Bizarre. Elle me dit de la suivre, quelqu'un voulait parler avec moi. À mon arrivée dans la salle à manger, mon frère était déjà assis autour de la table accompagné de deux policiers. Lui, tout comme moi, ne semblait pas comprendre ce qui se passait. C'était la première fois que je faisais face à un policier et honnêtement, je ne savais pas comme réagir. Assis sur la chaise à côté de Christian, je restais silencieux en gardant mes yeux rivés vers l'homme en uniforme. Il semblait chercher ses mots. « Votre tante est en route pour venir vous chercher. Elle sera ici d'ici quelques heures. » « Nous chercher ? Nos parents sont-ils au courant ? » Mon frère venait de prendre la parole et encore une fois, le policier sembler chercher ses mots à nouveau. Faut dire que je ne comprenais pas plus que lui, mais je me disais que c'était parce que j'étais jeune. Parfois, il y a des choses que seulement les adultes peuvent comprendre. « On va en vacances ? Je ne crois pas que maman serait contente qu'on manque des jours d'écoles pour aller chez tante Shevonne. » Le deuxième policier, qui en fait était une femme, s'approcha de nous et s'accroupit entre mon frère et moi. Son regard était compatissant et triste. « Vos parents... ils ne reviendront pas. À cet instant même, ils sont dans un monde meilleur, mais votre tante sera là pour prendre soin de vous dorénavant. » Sur le coup, il ne savait pas trop comment réagir face à ce qu'il venait d'apprendre. Il se demandait s'il avait bien compris. Faut dire qu'elle n'était pas vraiment claire dans ce qu'elle voulait dire par "monde meilleur". Christian, lui, avait compris. Du moins, à voir la larme qui coulait sur sa joue, rien de tout ça n'était bien. Ce fameux monde meilleur n'était pas une île paradisiaque où leurs parents se faisaient bronzer sur la plage. Ils n'étaient tout simplement plus de ce monde. Nous devions donc recommencer à zéro : Nouvelle ville, nouvelle famille, nouvelle vie.

Faut dire que cela a pris un moment avant que je m'habitue à ma nouvelle famille. Shevonne restait quand même ma tante, je ne devais donc pas partager le même toit qu'une étrangère, mais à vrai dire, on ne se connaissait pas vraiment. Nous vivions à New York et elle, à Pasadena, ce n'était pas la porte d'à côté. Du coup, on ne la voyait pas souvent. Seulement pour les évènements spéciaux. À son sujet, je ne connaissais pas grand chose, mais à mon arrivée chez elle, j'appris une chose qui ne m'avait pas été mentionné. Enfin, j'étais jeune, on se disait sûrement que j'allais croire que c'était normal. En fait, ma tante s'avère être en couple avec une autre femme. Nous sommes dans un monde libre, je comprends, mais honnêtement, je n'ai jamais vraiment su quoi en penser, ayant été habitué à voir des couples normaux, c'est-à-dire homme-femme. Je croyais m'y habituer, mais faut dire que les regards qui étaient posés sur la famille ne m'aidait pas. Effectivement, cela me suivait jusqu'à l'école. « Tu as deux mamans, mais pas de papa ? Tu es bizarre. » Ce genre de remarque, je détestais. Déjà qu'il me jugeait par rapport à ma tante, mais en plus, il me rappelait que je n'avais plus de père. Ça, il ne le savait pas, mais il devrait quand même faire attention avant de parler. Que voulez-vous, les jeunes sont cruels... « Ce n'est pas ma mère! » criai-je alors que les jeunes se moquaient de moi ouvertement. Pourquoi devais-je subir cela alors que le problème ne venait pas de moi. C'était plutôt ma tante qui n'était pas normal. Moi qui tentait de me convaincre le contraire, comment pouvais-je y arriver alors que presque tout le monde pensait comme moi. Tout le monde, sauf ma famille bien entendu. C'était le désavantage d'en faire partie, être jugé à chaque jour par des inconnus qui n'avaient aucune idée de ce que nous avions vécu. De toute façon, je ne voulais pas de leur pitié. Je m'attirais dans quelques ennuies parfois. Les gens me poussaient à bout et je n'étais qu'un gosse, je n'avais pas de contrôle sur ma colère. À huit ans, j'avais déjà mis mon poing dans le visage de la plupart des garçons qui avaient osé se moquer. Une autre chose à laquelle je ne m'habituerai jamais.

Malgré tout cela, j'aime bien ma nouvelle famille. Disons que je me comptais chanceux de ne pas avoir atterrit dans un orphelinat où j'aurais été séparé de mon frère un jour ou l'autre. Au moins, je pouvais toujours l'avoir à mes côtés. Il était tout ce qui me restait de mon ancienne vie, je ne voulais pas le perdre. À notre arrivée à Pasadena, nous étions inséparables. Littéralement... Sans lui, je ne me sentais pas en sécurité, je ne me sentais plus à la maison. N'ayant plus vraiment de figure masculine comme modèle, j'avais lui. J'avais aussi la chance d'avoir deux soeurs, Carter et Summer. Même s'il n'était pas trop proche de la petite dernière, il l'appréciait quand même. Contrairement à l'ainé que j'ai tout de suite pris comme une grande soeur. Disons que le fait qu'elle et mon frère soit proche avait un peu aidé aussi. Étant le chien de poche numéro un de Christian, je m'incrustais toujours dans ce qu'ils faisaient. Que ce soit jouer à un jeu de société, sortie au parc ou tout simplement regarder la télé, j'étais là. Pour ce qui est des deux mères, faut dire que cela m'a pris un peu plus de temps à les "accepter". L'idée de remplacer mon père et ma mère par deux femmes me troublait un peu. Et puis, je n'avais pas envie de les remplacer. Mais bon, il le fallait bien. Ce n'est pas comme s'ils allaient revenir. Et puis, au fond, je les aime bien Shevonne et Piper. Irritante de temps en temps, mais je sais qu'elles le sont seulement parce qu'elles m'aiment comme elles aimeraient leur propre enfant.

« S'il te plait Noah! Si je n'obtiens pas au moins un "C" dans le prochain examen, ils vont me mettre dehors. » Depuis que j'avais commencé mes petits traffics, j'ai l'impression que les gens me prennent pour quelqu'un d'empathique. J'ai mes moments, mais pas pour ça. À chaque jour, on me raconte un mytho afin d'avoir ce qu'ils veulent, mais au fond je m'en fous. Tout ce que je veux, c'est l'argent. Bien entendu, il y a toujours ceux qui me disent que vont bientôt avoir ce qu'ils me doivent, mais qu'en fait non et je ne les revois plus jamais. Comme Duke par exemple. Ce débile passe son temps à me demander des réponses pour ses examens. Trop préoccupé par les femmes et ses muscles, il ne prend pas la peine d'étudier comme tout étudiant le ferait. Il m'a souvent promis qu'il me paierait bientôt et pourtant, je n'ai toujours pas vu ces fameux billets. Ce n'était qu'une brute et je ne voulais plus perdre mon temps avec lui. « Ce n'est pas mon problème. Pas de cash, pas de réponse. » « Je te promets que je vais te le donner. Donne-moi une semaine, mais j'en ai vraiment besoin maintenant. » « Et bien tant pis. Tu n'as qu'à arrêter de passer tout ton temps au gym et étudier pour cette fois-ci. Prouve-moi que tu n'es pas aussi débile que t'en as l'air. » D'un coup, je sentis son poing venir s'écraser contre mon os zygomatique gauche projetant ma tête brusquement vers la droite. Je lui ai renvoyé le coup et pendant quelques secondes, nous nous sommes tapé dessus. J'aurais bien pu m'arrêter et être mature dans la situation, mais bon... Faut dire que ça me faisait un peu de bien de lui mettre quelques coups. Par contre, vu le temps qu'il passait à faire de la musculation, ses coups étaient lourds. Je fus donc le premier à me retrouver sur le sol à me tenir le visage. Duke avait décidé d'y mettre un terme en se sauvant. Je voulais bien croire que c'était par peur que je me relève et que je lui fasse regretter, mais ce n'était pas ça. En fait, un mec - qui devait avoir dans la trentaine - avait crié pour nous interrompre. Nous n'étions pas à l'université, je n'avais pas à m'inquiéter qu'on appelle ma tante et sa copine. Je préférais éviter qu'elles s'en mêlent.

Une fois à la maison, je passai dans la cuisine afin de prendre le goûter, mais en voyant les deux femmes qui me servaient de mère, je tournai les talons afin de les éviter. « Noah? » Je fermai les yeux, déjà irriter par le son de la voix de Shevonne. « Quoi ? » Ne prenant pas la peine de retourner dans la pièce, j'étais resté planté dans le couloir en attendant impatiemment le moment où je puisse retourner m'isoler dans ma chambre. « Tu veux bien revenir dans la cuisine, s'il te plait ? » J'expirai de façon exagérer en espérant qu'elle me laisse partir. Ce qui n'allait sûrement pas arrivé, mais j'ai le droit de rêver, non? J'appuyais mon épaule contre le cadrage de porte et gardais la tête penchée. Shevonne se leva et s'approcha de moi pour prendre mon menton dans sa main. « Tu peux m'expliquer ce qui s'est passé ? » « Roh, rien de grave. Je suis tombé en faisant du skate. Ça m'arrive souvent, on ne va pas en faire une scène. » « Et bien pardonne-moi de m'inquiéter lorsque mon fils arrive à la maison avec un bleu. » Je bougeai brusquement la tête pour m'enlever le menton de sa main et je levai les yeux au ciel devant ses paroles. Après plus de quinze ans, je n'avais toujours pas l'habitude de l'entendre m'appeler "son fils". À chaque fois, ça me donnait des frissons. « Donc, la raison de ce bleu ? » « Je viens de te la donner. » « Non, tu viens de me raconter un mensonge. Je veux savoir qui t'as fait ça à l’œil. » C'est vrai qu'elle avait souvent rencontré le directeur pour mes gestes apparemment violents envers quelques élèves. Même si je savais qu'elle le savait, je ne voulais rien lui dire. Surtout que cela allait amener à devoir lui dire la raison pour laquelle Duke et moi nous étions battus. Hors de question d'avoir cette discussion avec elle. « Je. Suis. Tombé. De. Mon. Skate. » Je gardais mes yeux rivés dans les siens, tentant de garder une certaine crédibilité dans mes paroles. Notre discussion dura encore quelques minutes, étant donné qu'elle ne voulait pas croire à mon mensonge. Elle s'inquiétait pour moi, je comprends, mais qu'elle me laisse vivre et faire mes erreurs. Pas besoin de s'en mêler à chaque seconde de ma vie. Elle me laissa partir, même si elle ne me croyait toujours pas. Arrivée dans ma chambre, je m'étais laissé tomber dans mon lit en expirant de façon exagérée et bruyante. Je ne pouvais pas aller retrouver mon frère dans sa chambre, étant donné qu'il m'avait laissé tomber pour l'Inde. Carter avait maintenant son indépendance et pour ce qui était de Summer, elle était à l'hôpital pour ses tests. Comme d'habitude, je me retrouvais encore seul avec moi-même. Heureusement que j'avais ma Playstation, sinon j'aurais sûrement fait une dépression ou même une tentative de suicide.