Depuis quelques jours, je tentais tant bien que mal d’oublier cette petite visite imprévue que j’avais eue à la maison. Je m’étais promise que celle-ci n’allait pas bouleverser ma vie, que j’allais oublier ce qui s’était passé et poursuivre mes activités quotidiennes comme je le faisais avant. Plus que cela, je m’étais même assurée de n’en parler à personne, pas même à mon colocataire, histoire d’enterrer tout cela une bonne fois pour toutes. Le comble était que je m’étais même dit que ce serait facile, mais visiblement, ce n’était pas le cas, mais pas du tout. Alors que je ne voulais pas y penser, l’image de ce gamin vêtu d’une robe me revenait à l’esprit. Alors que je ne voulais pas en parler à qui que ce soit, je m’étais fait demander plus d’une fois si tout allait bien parce qu’en voyant un gamin passer dans le restaurant, j’étais perdue dans mes pensées. Au bout du compte, tout cela était difficile, à un tel point que j’en venais à me frustrer toute seule, à tourner en rond tel un chacal quand je n’avais rien à faire, comme aujourd’hui, en fait. Jamais je n’aurais dû avoir une journée de congé, mais puisque l’emploi du temps du restaurant était fait ainsi, je n’avais pas d’autre choix que de prendre cette journée et tenter de m’occuper aussi bien que possible. Le matin, je m’étais rendue au stand de tir, comme j’aimais le faire quand j’avais du temps libre, puis j’étais allée faire des courses pour préparer le repas du soir. Toutefois, dès que le tout fut prêt et que la dernière étape soit de mettre au four, je me rendis compte qu’il me restait encore plusieurs heures à perdre, à ma plus grande frustration. Hors de question que je fasse le ménage, c’était complètement inutile et de plus, cela n’était pas suffisant pour m’occuper, puisque je resterais quand même enfermée dans cette demeure qui, pourtant grande, devenait soudainement trop petite dans le cas présent. Au bout du compte, je décidai de prendre mon téléphone et mes écouteurs, et de sortir pour aller marcher et prendre l’air. Sitôt que je fus arrivée dans le parc, je me rendis compte qu’encore une fois, j’avais fait un choix absolument nul; j’avais choisi celui avec des modules pour enfants. Désespérée, je ne sus faire mieux que de m’asseoir sur le premier banc que je trouvai, jouant sur mon téléphone pour être sûre de ne pas considérer les modules. Toujours mes écouteurs sur les oreilles, je n’entendis pas ce qui se passa autour de moi. Ce qui me tira de mes occupations, ce fut des pieds que je vis, affublés d’une jupe. Je relevai alors le regard, puis je sursautai quand je revis le visage de cet enfant qui s’était présenté devant ma porte, si bien que sur le coup de ma panique, je hurlai presque : « Qu’est-ce que tu fiches ici !? Tu me suis ou quoi ?! » en le considérant, les yeux écarquillés, cherchant aussitôt à voir si son père était dans les environs, puisque si c’était le cas, alors clairement, je ne saurais que faire d’autre que prendre mes jambes à mon cou et encore une fois fuir toute cette histoire.

La première réponse du gamin se fit rassurante sur deux points et ce, sans même qu’il le veuille, probablement. Tout d’abord, j’eus l’assurance qu’effectivement, il ne me suivait pas, c’était déjà un début, mais surtout, le fait qu’il mentionne qu’il était avec sa nounou me fit comprendre que son père n’était pas là et ça, c’était encore plus soulageant, puisque pour tout dire, je n’aurais pas été prête à le confronter de nouveau. Me connaissant, j’aurais repris ma route pour ne pas arriver à une nouvelle engueulade, vu les menaces qu’il m’avait faites la dernière fois. Pas des menaces qui m’avaient vraiment atteinte, mais qui me pourraient me mettre dans une situation bien fâcheuse si jamais il les avait mises en application. Quoiqu’il en soit, je n’avais plus à m’en soucier pour le moment, même si cela ne me permettait pas de poursuivre ma route sans me soucier de quoi que ce soit. En effet, avant même que j’aie pu faire quoi que ce soit, l’enfant s’était installé à mes côtés, me demandant si je venais ici. Ne sachant pas du tout que faire, je me surpris à avoir un tout petit rire nerveux quand je vis qu’il m’avait appelé « maman » mais deux secondes après, il me vouvoyait. Je ne savais pas trop comment le prendre, franchement, et pour être honnête, je n’avais même pas envie de faire un commentaire sur la question. Lui dire de ne pas m’appeler « maman » jetterait un froid, mettrait peut-être même fin à la conversation. Toutefois, pour une raison que je ne comprenais pas vraiment, je n’avais pas le courage de mettre fin à la discussion, pas maintenant que l’enfant était assis à côté de moi. Me résignant à ne passer aucun commentaire et ce, même si les vouvoiements n’avaient jamais été mon fort, je finis par le regarder, réalisant qu’il me regardait avec un sourire. Le même sourire que son père avait plus jeune. Exaspérée par mon propre comportement, le fait que je me laissais aller aux sentiments un peu trop à mon goût, je finis par soupirer, puis réponde : « Non, pas vraiment… » D’accord, je devais admettre que ce n’était pas du tout une réponse toute mignonne pour un enfant de six ans, mais je m’en moquais. Jamais je n’avais fait dans la dentelle – d’où le fait que j’avais toujours cru que je ne serais jamais une bonne mère, entre autres – et ce n’était pas aujourd’hui que j’allais commencer, je trouvais cela trop hypocrite. Puis, quelques secondes après, Carrie – si je me souvenais bien le nom que mon ex m’avait dit quand il s’était présenté à ma porte – ne lâcha pas le morceau en me demandant comment j’allais. Encore une fois, j’eus un autre rire un peu ironique, nerveux, me laissant alors sans savoir que dire. Je n’aimais pas faire dans la dentelle, certes, mais j’étais en même temps trop orgueilleuse pour dire que non, ça n’allait pas. Je ne voulais pas m’abaisser à ce niveau. Passant une main dans mes cheveux, je choisis de répondre : « Ouais, on va dire ça. » en faisant un sourire quelque peu faux. Ensuite, je tournai la tête, le temps de marmonner pour moi-même : « Enfin, si on oublie le fait que j’arrive pas à aller où que ce soit sans que tu sois là et que je sente que ma vie sera encore gâchée… », me moquant bien pour le coup s’il m’avait entendu ou pas.  

Limite je faisais mon possible pour demeurer aussi indifférente que possible à l’enfant qui se trouvait à côté de moi, parce que je savais que m’attendrir le moindrement ne serait pas mon genre, d’abord et avant tout, mais de plus, ce serait me perturber encore plus que je ne pouvais l’être par tout cette histoire. Cependant, au moment où Carrie me dit qu’il était content – parce que je ne me faisais pas à l’idée d’utiliser les pronoms féminins pour en parler – que je sois venue en ces lieux aujourd’hui, je ne pus m’empêcher de trouver ça presque… mignon. En effet, j’en venais presqu’à me dire que si quiconque de ma connaissance que j’avais appris à apprécier m’avait tenu ce genre de propos, effectivement, j’aurais trouvé cela mignon. Toutefois, dans d’autres circonstances, très certainement que je me serais exclamée de façon un peu trop exagérée, mais dans le cas présent, puisque je n’y arrivais tout simplement pas, je me contentai de sourire timidement, et retourner à ma contemplation qui me fit soudainement dire des choses bêtes. Enfin, le fait était plutôt que j’avais été bête de les prononcer à voix haute, puisque malheureusement, Carrie m’avait entendu, et me fit aussitôt regretter mes paroles quand il commença à me poser des questions sur la raison pour laquelle je n’étais pas dans sa vie, en venant rapidement à la conclusion que je ne voulais pas de lui. Quoiqu’il en soit, j’étais dans de beaux draps, c’était chose indéniable. Ne sachant pas vraiment comment m’en sortir, je roulai les yeux au ciel, cherchant tant bien que mal à trouver comment répondre à la question. Mon instinct naturel serait du genre à clamer la vérité haut et fort, et d’ailleurs, j’étais si peu douée avec les enfants que j’en vins rapidement à la conclusion que ce ne serait pas une si mauvaise idée, mais bien rapidement, quand je me retournai et que je vis que l’enfant avait les larmes aux yeux, je compris que c’était une très mauvaise idée, probablement tout aussi mauvaise que de m’exclamer : « Oh non, tu ne vas pas commencer à chialer en plus… » Roulant les yeux au ciel, j’espérai juste que même si c’était la pire chose à dire, ce soit assez pour ne pas avoir une crise de larmes. Puis, je me rendis compte que clairement, non, ce ne le serait pas, et il faudrait que je trouve le moyen d’ajuster la situation ne serait-ce qu’un peu pour ne pas m’enfoncer dans un beau merdier. Poussant alors un soupir, je décidai de dire : « Je n’ai pas été présente parce que tu méritais mieux que moi, voilà. », ce qui était, quand on y réfléchissait, une demi-vérité. Effectivement, puisque jamais je ne me serais permise de mettre ma carrière de côté pour un enfant, jamais je n’aurais été là, et voyant comment je me comportais avec lui, jamais je n’aurais été en mesure d’être assez douée pour m’en occuper, ne serait-ce que l’aimer. À cette constatation, je compris que la décision que j’avais prise il y a cinq ans demeurait toujours la bonne, et ce n’était pas aujourd’hui que j’allais la changer.

Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait par rapport à tout cela, par rapport au fait que je m’étais toujours sentie plus que méfiante, voire même horrifiée à l’idée de devoir considérer ce bébé que j’avais mis au monde, comme si je craignais que tout cela vienne me hanter pour le reste de ma vie si jamais il venait à crier, pleurer, se rouler par terre ou autre. Pourtant, rien de cela ne se passa. En fait, mes dires, bien que sincères et un peu durs à avaler, furent suffisants pour faire cesser les pleurs de l’enfant. Pour tout dire, jamais je n’aurais cru que ce serait aussi facile, si bien que pendant un instant, je me demandai pourquoi je ne l’avais pas fait plus tôt, puisque cette vérité, aussi minimale soit-elle, faisait en sorte que je me sentais un peu libérée, d’une certaine façon, si bien que je me surpris à me demander pourquoi je m’étais cassée la tête aussi longtemps. Toutefois, je révoquai très rapidement cette pensée, me rappelant pourquoi, justement, j’avais voulu éviter ce moment à l’instant même où Carrie commença à me parler du fait que j’aurais pu être une bonne mère. Sitôt, je levai les yeux au ciel, et je marmonnai :  « Tu ne me connais pas, tu ne peux pas dire ça. », me décidant de me raviser pour la suite du discours que j’aurais pu lui prodiguer, parce que cela reviendrait à lui avouer que j’avais fait le choix entre ma carrière et ma vie de famille, ce que, justement, je ne voulais pas que l’enfant entende. Histoire de, justement, ne pas céder à la tentation d’en dire plus, j’écoutai à moitié ce que Carrie dit par la suite, ne portant pas d’attention à ce qu’elle dit sur son père, et le fait qu’il était soi-disant amoureux de moi, encore et toujours. Pour tout dire, je n’y croyais pas vraiment. Voilà maintenant longtemps que nous étions séparés, avant même que je découvre que j’étais enceinte. Peut-être lui avait-il raconté cela pour lui faire plaisir ? C’était fort possible, mais moi, je n’avais aucun talent pour faire la dentelle, ce qui expliquait justement pourquoi je n’étais pas mère. Toutefois, je me tus sur ce détail, de toute façon chicotée par autre chose, soit le fait que Carrie parlait comme s’il était vraiment une fille. J’avais deviné qu’il y avait un souci quand je l’avais vu vêtu de la sorte plus tôt, mais là, ce fut un peu incompréhensible. Cependant, avant que je dise quoi que ce soit, l’enfant vint me prendre dans ses frêles bras. Surprise par le geste, je devais admettre que c’était limite mignon, d’une certaine façon, et je me laissai aller pendant quelques secondes, souriant doucement, toutefois incapable de retirer cette question de ma tête. Toutefois, puisque j’avais quand même conscience que c’était peut-être un sujet délicat, je demandai au préalable, préférant avoir son autorisation avant de dire quoi que ce soit, et aussi annoncer que ça pourrait être un peu plus sérieux :  « Dis, je peux te poser une question ? »