Dans un premier temps, la réponse formulée par Hannaël me laissa quelque peu perplexe, puisque vu ses dires ainsi que son regard offusqué qui était plutôt convaincant, je n’allais pas le cacher, j’étais persuadée d’avoir fait quelque chose qui ne fallait pas. Pendant quelques secondes, je la regardai, légèrement surprise, et me sentant particulièrement coupable. J’étais même sur le point de m’excuser de ce que je venais faire, voulant justifier que je ne voulais rien faire de mal, mais heureusement, ma cousine réagit autrement, commençant à rire. Nerveusement, je commençai à rire avec elle, même si je devais admettre que je ne pouvais pas totalement me détendre. Ce n’était pas nécessairement en raison de cette blague, mais plutôt parce qu’en fait, le fameux « verre » me stressait apparemment toujours, et cette blague n’avait pas nécessairement réussi à me détendre, bien malheureusement.

Pire que cela, les choses ne s’améliorèrent pas au moment d’entrer dans le café et commencer à consulter le menu. Honnêtement, j’aurais préféré être plus confortable avec tout cela, mais j’étais légèrement prise au dépourvu, tellement qu’à un certain point, je jugeai préférable de demander à ma cousine ce qu’elle comptait prendre. À mon plus grand désarroi, celle-ci ne fit pas que répondre après une petite réflexion en me donnant le nom d’un item qui l’intéressait sur le fameux menu. En fait, si je me souvenais bien des expressions faciales de ma cousine, je pouvais en déduire que mon interrogation n’était pas si banale que cela. En gros, ma tentative pour paraître naturel était totalement ratée, et je m’en trouvais bien inconfortable. Cela aurait pu rester ainsi, et peut-être me serais-je résignée à prendre quelque chose qui me faisait envie, purement et simplement, mais ça ne resta pas là; Hannaël me demanda si tout allait bien, m’invitant même à me confier si jamais c’était nécessaire. À ses mots, je me mordillai la lèvre, ne sachant pas trop quoi faire. La tête maintenant baissée, je réfléchis à ce que je me devais de faire. Pourquoi ? Parce que je ne pouvais pas simplement dire que je ne buvais pas d’alcool comme ça, parce qu’Hannaël était ma cousine quand même, presque comme ma sœur, je ne pouvais pas lui faire ça, surtout que la connaissant, elle était assez perspicace pour comprendre que ce choix n’était pas un coup de tête, et bien sûr, je me sentirais mal de ne pas tout lui raconter. Cependant, l’histoire était particulièrement complexe, et je n’en étais pas très fière, ce qui expliquait pourquoi j’hésitais tant, pourquoi je cherchais mes mots pour l’expliquer de façon courte et simple, si possible. Au bout du compte, je finis par pousser un petit soupir, et je dis : « Tout va bien, ne t’en fais pas… C’est juste que… » Je m’arrêtai pour confirmer mon choix de mots, et j’ajoutai : « Je ne bois plus d’alcool depuis quelques mois maintenant, mais je ne suis pas encore totalement habituée à l’idée, surtout lorsque je suis avec certaines personnes qui ne sont pas au courant… Mais maintenant, tu le sais. » J’eus un petit rire nerveux, et je m’efforçai de sourire, guettant alors sa réaction.

Sitôt mon aveu effectué, je guettai la réaction de ma cousine avec beaucoup d’attention qui trahissait une certaine nervosité. Pourtant, ce n’était pas la première fois que je parlais de mes anciens problèmes d’alcool, et maintenant, ceux-ci étaient loin derrière moi, dans le sens où toucher à un verre ne répugnait tout simplement, mais j’avais l’impression que puisque j’en parlais à Hannaël, qu’elle était ma cousine, que je ne voulais pas que son image qu’elle avait de moi soit complètement démolie, j’étais anxieuse à l’idée qu’elle me juge par rapport à cela, même si au fond, une petite voix me disait que ce n’était pas son genre, qu’elle ne me ferait probablement pas ça. Elle ne le fit pas, effectivement; à la place, elle s’excusa d’avoir demandé des explications, ce à quoi je souris timidement et que je dis : « Il n’y a pas de mal, vraiment. » J’aurais voulu ajouter quelque chose, entre autres m’excuser à mon tour parce que je semblais en avoir fait tout un plat alors qu’il n’y avait pas besoin, mais je n’en eus pas le temps, puisque c’était à ce moment que le serveur décida de venir à notre rencontre pour prendre nos commandes. Toujours un peu tendue malgré moi, je me détendis complètement lorsque j’entendis Hannaël commander une glace ainsi qu’un jus d’orange. Je n’aurais pas pu m’interposer si elle avait commandé un cocktail ou quoi que ce soit, mais je lui en étais quand même reconnaissante, si bien que je prononçai un « merci » silencieux à son adresse avant de regarder le serveur et simplement demander : « La même chose, s’il vous plait. » , puisque premièrement, dans ma nervosité, je n’avais pas vraiment réfléchi à ce que j’allais prendre, mais également parce qu’Hannaël avait eu une bonne idée. Et puis, qui n’aimait pas la glace et le jus d’orange ? Une fois que le serveur eut noté le tout puis tourné les talons, je reportai mon attention vers ma cousine, l’air beaucoup plus détendu à présent. Je fus alors toute ouïe au moment où elle me demanda les dernières nouvelles. Sachant parfaitement que si je lui racontais absolument tout ce qui s’était passé dans ma vie ces dernières années, nous ne serions pas sortis de ce bar avant le lendemain matin, sans parler du fait que ce n’était pas amusant à discuter, je me contentai de lui parler du plus simple, mais surtout du plus heureux, enfin, à mon avis. Je lui dis alors : « Et bien, je suis revenue à Pasadena il y a quelque temps de cela, et j’ai trouvé un travail de nounou à plein temps, du coup j’habite sur la propriété de mes employeurs. Et imagine-toi qu’en fait, la mère de la fille dont je m’occupe, c’est une de mes amies du primaire ! Ça faisait vingt ans que je ne l’avais pas vue ! » À cette pensée, je ne pus m’empêcher de faire un petit sourire que je conservai lorsque je demandai à ma cousine : « Et toi alors ? Quoi de neuf ? »

Alors que j’étais tout sourire au moment où Hannaël affirma être heureuse pour moi concernant mon travail et la bonne entente que j’avais avec ma patronne, mon visage devint soudainement un peu plus grave, un peu plus austère au moment où je me rendis compte qu’à ma question qui se voulait plus que banale, ma cousine avait perdu son propre sourire et semblait ce qui me paraissait triste. Sitôt, je ne pus m’empêcher de regretter ce que je venais de lui demander, même si ce n’était que pour lui retourner le propos, pour prendre de ses nouvelles, ce que je n’avais pas eu l’occasion de faire depuis bien longtemps. Au bout du compte, je jugeai que c’était peut-être une question légèrement délicate à aborder, et je voulus me raviser de laisser ma cousine répondre pour changer le sujet, mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, Hannaël me répondit cette réponse typique de quelqu’un qui ne semble pas vouloir parler de quelque chose, à savoir qu’il ne se passait rien d’intéressant dans sa vie. Connaissant très bien ce sentiment, puisque moi-même, plus tôt, j’avais décidé de faire fi des détails moins heureux de ma propre vie pour ne pas alourdir la conversation, je me contentai de pincer les lèvres, sans demander plus de détails, ou même insister en disant que ce n’était pas vrai, ou quelque chose dans le genre. De toute façon, je n’aurais pas eu le temps de dire quoi que ce soit, puisque le serveur revint avec nos glaces et nos jus. Je le remerciai d’un sourire vite fait, non pas par manque de politesse, mais tout simplement parce que je souhaitais revenir à ma cousine le plus rapidement possible sans créer une grande brisure dans la discussion. Rapidement, je lui dis : « Hey Hanna… tu sais que si tu veux… Je suis là hein… » Pour agrémenter mon propos, je voulus passer ma main au travers de la table pour lui prendre la main, mais dans mon cheminement, j’accrochai sa glace, la faisant tomber sur la table, mais également sur ma cousine. Confuse, je lui dis : « Oh mon Dieu, je suis désolée ! », me sentant particulièrement mal de ce que je venais de faire.

Il n’y a pas de mots qui pouvaient décrire à quel point je me sentais coupable et ridicule d’avoir fait une telle gaffe. Je savais bien que cela pouvait arriver à tout le monde, les serveurs de ce café avaient déjà probablement vu pire, vu les clients qui pouvaient passer à chaque jour, mais faire cette bêtise non seulement au moment où je retrouve ma cousine après des années d’absence, mais en plus alors que la conversation n’était pas des plus joyeuses, ça craignait vraiment fort, quand même ! Pour tout dire, j’étais même persuadée qu’Hannaël m’en voudrait, et franchement, je ne pourrais pas le lui reprocher, puisque moi-même, je m’en voudrais fort probablement si j’avais été à sa place dans une situation pareille. Cependant, je ne voulais en rien gâcher nos retrouvailles, cette conversation et de ce fait, j’étais prête à appeler le serveur pour commander une autre glace, mais au final, avant que je puisse faire quoi que ce soit, ma cousine me dit que je n’avais pas à m’en faire, à condition que je partage ma glace, la seule qui restait, avec elle. Considérant que c’était là un prix peu cher à payer, je n’hésitai pas une seconde; en prenant soin de ne rien renverser cette fois-ci, je poussai ma glace au centre de la table, accompagné de quelques serviettes pour qu’Hannaël et je dis : « Évidemment, prends-en autant que tu veux ! », allant même jusqu’à me dire que si elle la voulait en entier, elle pourrait la prendre, je ne m’en montrerais même pas vexée. De toute façon, ce n’était pas la fin du monde si je n’en mangeais pas, considérant que ce n’était pas prévu à la base et que de plus, l’essentiel pour moi, c’était ce moment que je passais en compagnie de ma cousine. De plus, il aurait été plus que stupide de ma part de m’attarder là-dessus et en faire tout un plat plus longtemps, surtout lorsque je me rendis compte que ce petit incident ne l’avait pas détachée de cette mélancolie dans laquelle ma question précédente l’avait plongée. Plus encore, elle profita de ce moment pour me dire ce qui avait fait en sorte que cette interrogation pourtant si banale avait pu la rendre si triste. Sitôt qu’elle eut commencé son récit, mon visage se déforma en une moue sincèrement triste, ne pouvant que savoir ce qui se passait, quand on se sentait trahi par un être qu’on croyait aimer. Toutefois, ma compréhension s’arrêtait malheureusement là; choquée, je l’écoutai me dire qu’elle avait voulu en finir avec ses jours, si j’avais bien compris. Pendant une seconde, ne sachant que dire, je la regardai, horrifiée, n’arrivant simplement pas à m’imaginer comment j’aurais réagi si jamais j’avais appris du jour au lendemain que ma cousine n’était plus. Comme si j’étais horrifiée de ne plus la revoir après cela, après m’être exclamée : « Oh Hanna… », je me levai, contournai la table – en prenant soin de ne rien faire tomber, cette fois-ci – et j’allai prendre ma cousine dans mes bras, la serrant fort contre moi. Puisque je ne trouvais pas les mots pour lui répondre pour le moment, j’espérais simplement pouvoir lui apporter un peu de réconfort, même si je me doutais bien que j’arrivais probablement trop tard. Regrettant de ne pas avoir été là, et sachant que je ne pouvais plus faire grand-chose, ne serait-ce qu’être plus présente maintenant, je demandai : « Et… Ça va mieux, à présent ? », la gardant contre moi en attendant une réponse de sa part.

J’étais parfaitement consciente que rien ni personne ne pourrait rattraper le fait que je n’avais pas été des plus présentes ces dernières années pour les membres de ma famille qui tenaient encore à moi, Hannaël la première, et que rien ni personne, malheureusement, ne pourrait changer cet état dans lequel j’avais été jusqu’à il y a quelques mois de cela. Par contre, j’étais bien déterminée à rattraper le tout, ou du moins, faire mon possible pour y parvenir, à commencer par me montrer un peu plus présente pour ma cousine qui, visiblement, avait du mal à se remonter de sa rupture amoureuse, comme elle m’en avait fait part. Je l’avais écoutée de façon on ne peut plus impuissante, certes, mais maintenant, il me fallait être plus active, et ça commençait ici et maintenant. C’était ce qui expliquait pourquoi je l’avais prise dans mes bras, et à mon grand soulagement, elle ne me repoussa pas, en venant même à tenir des mots qui, étrangement, me touchèrent, d’une certaine façon. En effet, quand elle me demanda si j’étais là maintenant pour elle, j’eus l’impression qu’elle ne m’en voulait pas d’avoir été absente, qu’elle semblait vouloir aller dans la même direction que moi, c’est-à-dire aller de l’avant, partir sur de nouvelles bases, des bases plus solides. Puisque c’était tout ce que je demandais, je ne pouvais clairement pas cracher sur l’éventualité et pour cette raison, je n’hésitai pas bien longtemps avant de lui dire : « Évidemment, et je n’ai pas l’intention d’aller où que ce soit… » Je fis durer l’étreinte encore quelques secondes après ces propos, puis après lui avoir déposé un baiser fraternel sur la joue, je me redressai, puis je repris ma place en face d’elle tout en prenant une gorgée de mon breuvage, laissant ainsi un petit silence s’installer dans la conversation l’espace d’un moment. Cependant, je n’avais pas l’intention de le faire durer très longtemps, me laissant juste l’occasion de voir ce que je pourrais lui dire. Puis, j’eus finalement une idée, et je ne tardai pas plus longtemps avant de lui en faire part, et d’affirmer : « Ça te dirait en fait de venir manger chez moi ce soir ? Enfin, si tu n’as rien de prévu, évidemment. On pourrait commander quelque chose et passer la soirée ensemble… » C’était une idée qui m’était venue comme ça, je n’allais pas le cacher, mais il fallait que j’avoue que cela ne me gênerait pas du tout qu’Hannaël vienne à mon petit loft le soir même, bien au contraire. Au pire, si elle ne pouvait pas, on pourrait toujours se voir une autre fois, ce ne serait pas compliqué, puisque maintenant, nous habitions dans la même ville. Se revoir serait un jeu d’enfant; un peu de volonté et le tour était joué.